Soudan : le spectre d’une nouvelle dictature
Soudan : le spectre d’une nouvelle dictature
Editorial. Alors que le ministre de la défense soudanais a annoncé avoir pris le pouvoir pour deux ans, il est de la responsabilité des officiers de l’armée d’entendre la voix de leur peuple, qui réclame un gouvernement civil.
A Khartoum, le 11 avril. / AP
Editorial du « Monde ». Omar Al-Bachir ne célébrera pas, le 30 juin, le trentième anniversaire de son règne. Le dictateur soudanais, arrivé au pouvoir, en 1989, par un coup d’Etat militaire, en a été chassé, jeudi 11 avril, par un autre coup d’Etat. Le ministre de la défense, Awad Mohamed Ahmed Ibn Auf, a pris la tête d’un « conseil militaire de transition » qui a annoncé avoir arrêté M. Al-Bachir et pris le pouvoir pour deux ans.
On peut se réjouir de la chute d’Omar Al-Bachir, dictateur impitoyable pour son peuple, ancien protecteur d’Oussama Ben Laden et de terroristes internationaux, et chef de guerre sanguinaire, notamment envers les populations du sud du pays, puis envers celles du Darfour. Il est poursuivi depuis 2009 par la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » dans cette dernière région.
La révolution de palais intervenue, jeudi, à Khartoum n’a cependant rien à voir avec le changement de régime espéré par des opposants qui, depuis plusieurs mois, manifestent courageusement dans le pays pour réclamer non seulement le départ d’Omar Al-Bachir, mais la chute de la dictature militaire.
Pour la foule des manifestants, rassemblée depuis le 6 avril devant le quartier général de l’armée à Khartoum, la joie, à l’annonce de la chute de M. Al-Bachir, fut de courte durée. Ils ont sifflé la fin du discours de M. Ibn Auf, annonçant la prise du pouvoir par la junte, la suspension de la Constitution, la dissolution du gouvernement et l’instauration d’un nouveau couvre-feu.
L’appel de l’ONU
Les organisateurs des manifestations, liés à l’Association des professionnels soudanais, n’ont pas caché leur déception et ont répété qu’ils réclamaient une transition politique qui ne soit pas un simple prolongement du régime Al-Bachir sans Al-Bachir. Ils maintiennent leur appel à manifester et leur demande d’un gouvernement civil de transition.
« C’est un coup d’Etat militaire, et ce n’est pas acceptable », a dénoncé Sara Abdelgalil, une de leurs porte-parole. « Le régime a mené un coup d’Etat militaire en présentant encore les mêmes visages contre lesquels notre peuple s’est élevé, ont réagi des membres de l’Alliance pour la liberté et le changement. Nous appelons notre peuple à continuer son sit-in devant le QG de l’armée et à travers le pays. »
A l’étranger, l’ONU a réclamé que la transition au Soudan respecte « les aspirations démocratiques » du peuple soudanais, et l’Union africaine a critiqué « la prise de pouvoir par l’armée », estimant qu’elle « n’est pas la réponse appropriée aux défis » du pays.
Alors qu’en janvier Omar Al-Bachir, évoquant les manifestations, conseillait aux « rats de rentrer dans leurs trous », Awad Mohamed Ahmed Ibn Auf, en annonçant son couvre-feu, a également menacé, certes en des termes moins brutaux, ceux qui contestent le pouvoir et bravent la répression. Pour leur première nuit de l’ère post-Bachir, les Soudanais n’ont cependant pas plié. Ils sont restés nombreux, devant le QG de l’armée, à manifester et à chanter.
L’avenir du Soudan est à ce stade entre les mains des officiers de l’armée et des services de sécurité qui ont déposé Omar Al-Bachir. Il est de leur responsabilité d’entendre la voix de leur peuple, qui réclame un gouvernement civil, des libertés publiques, des droits élémentaires. Si d’aventure ils s’y refusaient, s’ils s’entêtaient à se maintenir seuls au pouvoir, s’ils imposaient leur couvre-feu par la force, ces hommes au sombre passé auraient, exactement comme leur maître d’hier, raté leur rendez-vous avec l’histoire, et avec l’avenir du Soudan.