Incendie de Notre-Dame de Paris : « C’est une partie de moi qui s’effondre »
Incendie de Notre-Dame de Paris : « C’est une partie de moi qui s’effondre »
Par Christophe Ayad
Au petit matin, mardi, au lendemain de l’incendie qui a ravagé le toit et la flèche de la cathédrale, les Parisiens venus constater les ravages des flammes étaient sidérés.
Il est 6 h 30, Paris s’éveille avec un goût de cendres et une odeur de suie. Depuis les quais de la Seine, les deux tours de Notre-Dame se détachent dans le jour naissant. Il manque la flèche. Des policiers interdisent l’accès à l’île de la Cité. Iaonis, une travailleuse roumaine, ne comprend pas pourquoi. Vendeuse de glaces dans un commerce sur le parvis de la cathédrale, elle appelle son patron. Sans réponse, elle repart en pestant. Chômage forcé. Sur le quai de l’Hôtel de ville, des ombres s’accoudent au muret de pierre, entre les stands de bouquinistes. Paul, étudiant en communication, est venu de Versailles : « Cet incendie, c’est une partie de moi qui s’effondre. On ne peut même pas être en colère, comme après les attentats. Il ne reste que l’accablement. » Il s’est converti au catholicisme il y a deux ans.
Un peu plus loin, Brigitte, une femme aux cheveux blancs, déplie un trépied d’appareil photo. Mais elle a oublié la pièce permettant de fixer son appareil. « C’est de l’argentique », précise-t-elle. Puis soudain, elle s’effondre en larmes. « Je n’ai pas dormi de la nuit, c’est tellement dur. Je pense à tous ces artisans qui sont morts sans voir leur œuvre achevée. Cette société va si mal, si seulement ça pouvait nous rassembler un peu. » Elle pleure à gros bouillons. « Les larmes ça sert à rien, c’est la lessive aux sentiments. Je l’aimais en toute saison la pauvre Dame… », dit-elle en rangeant son appareil.
Vitraux noirs de suie
La Seine est immobile comme un miroir, troublée seulement par le passage d’une vedette rapide de la brigade fluviale. Sur le pont de la Tournelle et le quai de Montebello, l’agitation est plus grande. Les chaînes de télévision enchaînent les directs devant les images des pompiers qui continuent d’arroser le transept sud dont s’échappe encore de la fumée. La cathédrale a été comme décapitée, la toiture a presque entièrement brûlé. L’échafaudage est resté debout, même si une partie, tordue par la chaleur, forme un amas de ferraille. Les murs extérieurs et les deux beffrois sont encore étonnamment blancs. En revanche, les vitraux sont noirs de suie, certains ont explosé. La grande rosace du parvis semble intacte. Les portes, entrouvertes, laissent apparaître une apocalypse. Quand on parle de « miracle » à Mgr Philippe Marsset, vicaire général du diocèse de Paris, il répond que ceux qui ont fait des miracles sont les pompiers.
Amy, une joggeuse canadienne qui habite le quartier, est là pour la troisième fois depuis hier soir. « Elle m’a donné tant de belles émotions. Je viens lui rendre hommage. » Jeanne, qui passe devant tous les jours en allant prendre le RER, confesse sa « honte » : « Nos ancêtres ont mis plus de cent ans à la construire. Et nous, au XXIe siècle, on n’est pas capables de la préserver. » A 7 h 02 précisément, un arc-en-ciel s’est élevé de l’île de la Cité, juste derrière Notre-Dame martyrisée. Quelques minutes plus tard, quelques gouttes de pluie. Trop tard, trop peu.