Marianne Chaillan : « “Game of Thrones” est une dissertation de philosophie géante »
Marianne Chaillan : « “Game of Thrones” est une dissertation de philosophie géante »
Propos recueillis par Martine Delahaye
La professeure de philosophie explique, dans un entretien au « Monde », que cette série amène le téléspectateur à réfléchir, notamment sur le pouvoir et l’existence de l’âme.
Marianne Chaillan enseigne la philosophie et est l’auteure de Game of Thrones, une métaphysique des meurtres (Le Passeur Poche, 2016).
En quoi « Game of Thrones » est-elle une série de philosophie politique ?
La question centrale, dans la guerre de succession que conte Game of Thrones, est la suivante : quelles sont les vertus d’un souverain ? Game of Thrones se veut une dissertation de philosophie géante et passionnante sur ce thème, où chaque personnage incarne la mise à l’épreuve d’une vision de la souveraineté. La rivalité des prétendants au Trône de fer symbolise donc l’affrontement de réponses théoriques différentes à cette question de philosophie politique.
Mais la série pose aussi des questions métaphysiques : quelque chose survit-il à la mort du corps, l’âme existe-t-elle ? Elle s’interroge sur le fait de savoir si les hommes sont libres ou seulement le jouet d’une fortune qui les dépasse, si Dieu ou les dieux existe(nt) et le rôle qu’il(s) joue(nt) dans la vie des hommes. Qui plus est, au travers de personnages comme Arya ou Brienne, elle se demande si nous avons une essence fixe ou s’il nous appartient de construire notre identité, y compris notre genre sexuel.
Si cette série fascine autant, c’est donc parce qu’elle nous interroge, sans qu’on y prenne garde ?
Oui, la force de Game of Thrones vient de ce qu’elle questionne, au lieu d’affirmer. Elle ne tranche pas, elle déploie des réponses possibles. A chaque spectateur de trouver la sienne. Ses intrigues brisent nos présupposés moraux intuitifs en nous mettant en contradiction avec nous-mêmes : cette série nous amène à réfléchir.
Ce serait donc, aussi, une série de philosophie morale ?
Oui, cette série questionne tout autant le champ de la philosophie morale, particulièrement dans ses deux premières saisons. Elle y interroge les principes qui doivent guider une action qui se veut morale, en exposant plusieurs façons de concevoir la morale.
On retrouve, par exemple, l’incarnation d’une morale d’inspiration kantienne dans la famille Stark. Pour un kantien, le meurtre ou le mensonge, quelles que soient les circonstances, est moralement injustifiable. En fin de saison 7, Jon Snow, en bon kantien, refuse de trahir sa parole envers Daenerys et de mentir à Cersei alors même qu’il doit à tout prix faire alliance avec cette dernière s’il veut espérer tenir tête à l’armée des morts.
A l’opposé, la famille Lannister, elle, a une vision utilitariste et fonde la valeur morale de son action au vu de ses conséquences. C’est ainsi que Tywin Lannister justifie sa décision d’avoir tué les Stark, lors des Noces pourpres : la mort de ces quelques personnes aura permis de sauver la vie de dizaines de milliers de soldats sur les champs de bataille. Pour lui, le massacre des Stark n’est pas seulement utile, mais moral.
D’un point de vue philosophique, qui pourrait s’installer sur le Trône de fer ?
Tyrion a toutes les qualités requises : il a le don d’observer, de comprendre et donc de savoir. Ce qui lui permet de ne plus subir et d’être en mesure d’agir. Spinoza aurait misé sur lui. Quant à Jon Snow (que l’on sait être Aegon Targaryen, en réalité), il pourrait aussi être le vainqueur : Montaigne parierait là-dessus, au vu de son intelligence de ce qu’est l’humain.
« Game of Thrones » : le résumé de la série saison par saison
Durée : 13:21