En Allemagne, de la propagande nazie échangée sans entrave sur WhatsApp
En Allemagne, de la propagande nazie échangée sans entrave sur WhatsApp
Par Michaël Szadkowski
Des images haineuses circulent dans des groupes réunissant des dizaines de personnes, sans qu’il soit possible de les modérer, révèle une enquête du site BuzzFeed News.
Un écran de smartphone avec, entre autres, l’application WhatsApp. / ARUN SANKAR / AFP
Une enquête du site d’information BuzzFeed News, publiée jeudi 18 avril et écrite depuis Berlin, montre que des groupes de sympathisants néonazis et antisémites existent en Allemagne sur l’application WhatsApp, permettant à leurs membres de s’échanger des symboles haineux, glorifiant le IIIe Reich ou Adolf Hitler, hostiles aux étrangers.
Pour cette enquête, BuzzFeed News précise avoir suivi neuf groupes sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie mobile les plus populaires au monde, appartenant à Facebook. Ces groupes aux noms généralement explicites – The German Storm (la tempête allemande) ou Ku Klux Klan International – accueillent plusieurs dizaines de membres (un groupe WhatsApp pouvant regrouper jusqu’à 256 utilisateurs).
Des émojis détournés
Les membres de ces groupes semblent être jeunes, pour la plupart. Le site d’information a recueilli le témoignage d’un des membres actifs, qui dit avoir une vingtaine d’années et avoir rejoint plusieurs groupes WhatsApp qu’il a trouvés par le biais de réseaux en ligne d’extrême droite.
Dans ces groupes, les journalistes de BuzzFeed News ont pu confirmer ce qu’avait dénoncé, en octobre 2018, le Forum juif pour la démocratie et contre l’antisémitisme. L’association allemande avait interpellé publiquement WhatsApp et montré que la fonction « stickers » de l’application, qui permet d’envoyer facilement de petites images, était utilisée par des néonazis allemands pour partager divers symboles comme la croix gammée ou les emblèmes des soldats SS.
Kaum ermöglicht #WhatsApp Sticker zu erstellen und zu nutzen, fluten Rechtsextreme ihre Gruppenchats mit volksverhe… https://t.co/fSYj0vkMAo
— JFDA_eV (@Jüdisches Forum)
De telles images ont été fréquemment partagées ces derniers mois dans les groupes WhatsApp infiltrés par BuzzFeed News. Ont également été constatés : des chaînes de messages mentionnant Adolf Hitler ou des opérations contre des immigrés ; des mèmes mettant en scène Adolf Hitler ; et l’utilisation de certains émojis comme symboles nazis, par exemple celui d’une personne levant le bras.
Today's example of hate speech being ALL about context (and therefore gonna be a tough one for AI) - it's not like… https://t.co/XB4yLTPgyR
— EvelynDouek (@evelyn douek)
En Allemagne, la diffusion publique de propagande et de symboles nazis est spécifiquement interdite dans la section 86 du code pénal. Mais le fonctionnement de WhatsApp, qui est à la fois une messagerie privée permettant des échanges entre deux personnes et un espace à résonance publique (puisqu’un groupe permet à quelqu’un de publier un message à destination de plusieurs personnes, parfois des dizaines ou des centaines, qui peuvent ensuite le transférer), place l’application dans une sorte de zone grise.
Modération quasi impossible
« En tant que service de messagerie, nous n’avons pas accès aux messages privés échangés par nos utilisateurs. Nous encourageons les utilisateurs à signaler les problèmes qu’ils rencontrent sur WhatsApp afin d’assurer leur sécurité sur notre plate-forme », a réagi un porte-parole de WhatsApp contacté par BuzzFeed News.
Mais le site d’information rappelle qu’en 2017, selon le Süddeutsche Zeitung, un adolescent allemand avait été puni par la justice pour avoir diffusé des messages contre les juifs et glorifiant le régime nazi dans un groupe WhatsApp de 180 membres. Un précédent qui rappelle qu’aux yeux de certaines juridictions, un groupe WhatsApp n’est pas uniquement un lieu d’échange privé.
Le fonctionnement de WhatsApp n’est pour l’heure absolument pas adapté aux législations qui encadrent les prises de parole dans l’espace public. Si la technologie employée par WhatsApp assure la confidentialité des messages des utilisateurs (le chiffrement de bout en bout empêchant notamment aux salariés de Facebook d’accéder aux contenus des messages échangés sur les serveurs de WhatsApp), elle empêche également toute recherche, modération et gestion des activités problématiques, voire illégales.
Une enquête du Financial Times avait ainsi démontré, en décembre 2018, que des groupes WhatsApp s’échangeant des contenus pédopornographiques demeuraient actifs malgré leur signalement.
Un sujet majeur pour Facebook
Cette ambiguïté du statut de WhatsApp, dont les fonctions de messagerie privée sont détournées pour des usages se rapprochant du fonctionnement des forums, est depuis longtemps un sujet majeur pour Facebook, alors que l’application est peu à peu devenue un lieu central de communication et d’existence en ligne pour des millions de personnes. Au Brésil, WhatsApp a, par exemple, servi en 2018 à des campagnes politiques intenses, souvent fondées sur la désinformation.
C’est également le cas en Inde, où se tiennent actuellement des élections législatives et où, dans le cadre de leur campagne, les partis politiques ont intensément posté des messages sur WhatsApp ayant aussi servi à relayer des propos haineux. Ceci alors que, depuis 2016, Facebook a lancé de nombreuses opérations pour lutter à la fois contre la désinformation et les discours de haine pouvant être relayés sur les divers réseaux sociaux qu’il possède. Les cas litigieux concernant WhatsApp ne sont, semble-t-il, pas prêts à être réglés.