Y-a-t-il eu fichage des « gilets jaunes » blessés lors des manifestations ?
Y-a-t-il eu fichage des « gilets jaunes » blessés lors des manifestations ?
Par François Béguin
L’Ordre des médecins a saisi le ministère de la santé et la CNIL. Une personne blessée lors d’une manifestation a porté plainte pour « collecte illicite de données à caractère personnel ».
A Laval, des femmes ont manifesté contre la violence des forces policières à l’encontre des gilets jaunes. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
Les personnes blessées lors des manifestations de « gilets jaunes » ont-elles fait l’objet d’un « fichage » par les personnels des services d’urgences, via un dispositif d’identification – appelé Si-Vic – créé après les attentats de 2015 pour gérer les « situations sanitaires exceptionnelles » ?
Si les autorités compétentes ont toujours reconnu avoir ponctuellement recours à ce système d’information afin de « consolider le nombre de victimes prises en charge », elles ont également toujours démenti toute possibilité d’un usage abusif, garantissant notamment que le ministère de l’intérieur n’avait accès ni aux données ni à l’outil, sauf en situation d’attentat. Le dispositif ne « comporte pas de données médicales », assurent-elles.
« Jamais je ne demanderai aux soignants de ficher leurs malades », avait tweeté la ministre de la santé Agnès Buzyn en février. « Connaître le nombre de personnes hospitalisées qui seraient soit des “gilets jaunes”, soit des forces de l’ordre, ça n’est pas comme ça que fonctionnent les hôpitaux, et heureusement ! », avait-elle lancé sur Europe 1.
Il y a quelques jours, c’était au tour de Martin Hirsch, le patron de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP), de certifier que cette procédure permettait de « répondre au mieux aux enjeux sanitaires, pas de violer le secret ». Il dénonçait une « agitation de mauvaise foi » après la publication par le Canard Enchaîné le 17 avril d’un message interne au groupe hospitalier demandant aux personnels de « saisir les identités » des blessés.
Un système d’information remplacé dans les prochains mois
Des propos qui n’ont visiblement pas suffi à rassurer le Conseil national de l’Ordre des médecins. « Alerté par des médecins, notamment responsables de départements d’information médicale ou de services d’urgences », l’Ordre a annoncé vendredi 19 avril avoir saisi la direction générale de la santé (DGS), au ministère de la santé, pour qu’elle lui apporte « toutes précisions utiles » au sujet du déploiement du dispositif. La commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a également été saisie « afin de recueillir son avis sur l’extension du système qu’elle avait autorisé pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles, dans un contexte qui paraît être bien différent ».
Le même jour, une plainte a été déposée au tribunal de grande instance de Paris par une personne blessée à la main par un tir de grenades lors d’une manifestation de « gilets jaunes » le 9 février et soignée à l’hôpital européen Georges-Pomidou, à Paris. Une plainte déposée au motif notamment de « collecte illicite de données à caractère personnel » et « violation du secret professionnel ». Arié Alimi, son avocat, dénonce un « fichage discriminatoire à raison de l’appartenance politique ».
A la direction générale de la santé (DGS), on assure que Si-Vic a déjà été activé « plus d’une centaine de fois » depuis sa création, lors d’attentats ou lors d’événements avec de nombreuses victimes. Selon la DGS, le système n’a par ailleurs été activé lors des manifestations de « gilets jaunes » sur l’ensemble du territoire national « que les 8 et 15 décembre 2018. Il a ensuite été activé ponctuellement selon la situation locale par les agences régionales de santé ou les SAMU ».
Sous couvert d’anonymat, un médecin urgentiste de l’AP-HP raconte au Monde avoir trouvé « très gênant » la demande de la direction de remplir Si-Vic, notamment parce que « les patients n’étant pas informés qu’ils étaient inscrits dans ce fichier ». Il explique avoir choisi à titre personnel de ne pas remplir les noms des patients, « sauf en cas d’attentat ». Interrogée par le Monde sur cette absence de communication aux principaux concernés, la DGS assure que « ce système d’information transitoire sera remplacé dans les prochains mois par un système d’information pérenne qui comprendra une fonctionnalité permettant de délivrer à la personne une information sur ses droits ».