Emmanuel Macron : « Nous devons refonder notre politique migratoire »
Emmanuel Macron : « Nous devons refonder notre politique migratoire »
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Contre toute attente, une réduction de l’espace Schengen, « qui ne marche plus », a été évoquée lors de la conférence de presse du chef de l’Etat, jeudi.
Cette thématique a été une des surprises de la soirée. Jeudi, Emmanuel Macron a abordé la question de la politique migratoire en plaidant pour un débat parlementaire annuel sur cette question et en réactivant la notion des frontières.
« Nous devons profondément refonder notre politique migratoire, a-t-il lancé. L’Europe souveraine forte est une Europe qui repense une ambition de coopération de développement à l’égard de l’Afrique (...) pour éviter l’émigration subie mais aussi une Europe qui tient ses frontières, qui les protège. C’est une Europe qui a un droit d’asile refondé et commun. C’est sur ces bases qu’on doit refonder Schengen quitte à ce que ce soit un Schengen avec moins d’Etat (…) Je crois très profondément à l’asile (...) mais pour bien accueillir ceux qui y ont droit, nous devons lutter plus efficacement contre ceux qui en abusent. »
Si l’idée d’une « réforme » de l’espace Schengen (« qui ne marche plus ») n’est pas neuve, celle de réduire le nombre de pays qui en sont membres (26, dont 22 membres de l’Union européenne) l’est un peu plus. En mars, dans sa lettre aux citoyens européens, le président évoquait déjà la nécessité de « limites », de « protection », de « frontière, qui est la liberté en sécurité ». Il parlait aussi de la nécessaire « remise à plat » de Schengen. Jeudi, il est allé un pas plus loin, mais sans détailler jusqu’au bout son raisonnement.
Quels pays s’agirait-il d’exclure ? Ceux qui se montreraient trop « généreux » en matière de politique migratoire ou d’asile, et donc, souligne François Gemenne, spécialiste des migrations, professeur à Sciences Po Paris et à l’université de Liège, « ceux qui sont a priori ses alliés » ?
Ou, à l’inverse, ceux qui ne veulent pas contribuer à une politique commune en matière d’asile, ces pays de l’Est (Hongrie, Slovaquie, République tchèque…) qui adhèrent au premier volet de l’objectif affiché par M. Macron (le contrôle rigoureux des frontières) mais refusent son exigence de solidarité (« une même politique d’asile, avec les mêmes règles d’accueil et de refus »), à laquelle, indiquait-il en mars, « chaque pays contribuerait, sous l’autorité d’un Conseil européen de sécurité intérieure ».
Système sous pression
En affirmant qu’il faut protéger, tout à la fois, les « valeurs et les frontières », le président semble bien viser ces Etats qui refusent lesdites valeurs. Et il suggère donc de les pénaliser en les privant des avantages liés à l’espace sans passeport.
Ce projet sera, à l’évidence, très difficile à concrétiser, d’autant qu’il a été formulé « en solo », dans le cadre d’un débat national et pas européen. « Par ailleurs, ajoute M. Gemenne, l’aura du président sur la scène européenne est désormais plus faible et ceux qui donnent le la à l’heure actuelle sont plutôt les Matteo Salvini [ministre italien de l’intérieur] et Sebastian Kurz [chancelier autrichien]. »
Quant à l’uniformisation des règles de l’asile, vieux serpent de mer du débat européen, la Commission de Bruxelles a déposé en vain, il y a un an, le projet d’une agence européenne de l’asile, censée assurer une plus grande convergence dans l’évaluation des demandes. Couplé à un système de répartition équitable des réfugiés, afin de soulager la pression sur les pays de première entrée, ce plan visait à réformer le système dit « de Dublin », qui détermine quel est le pays responsable de l’examen d’une demande d’asile. Aujourd’hui, ces débats qui empoisonnent depuis longtemps la vie de l’Europe communautaire sont totalement gelés, presque aucun pays membre ne souhaitant fondamentalement une meilleure coopération.
Et Schengen ? Le système est sous pression depuis 2015, quand la Grèce a été menacée d’une suspension, voire d’une exclusion. Et en 2012, déjà, Nicolas Sarkozy, en conflit avec l’Italie, avait menacé d’une sortie de… la France si les « clauses de sauvegarde » n’étaient pas révisées. C’est la gestion des frontières extérieures qui déjà était en cause à l’époque. Sept ans plus tard, elle l’est encore, avec bien d’autres sujets sur la table, ce qui rend la discussion presque impossible. Et le résultat probable des élections de mai n’aidera sans doute pas à la faire progresser.
Le résumé vidéo des annonces d’Emmanuel Macron
Durée : 03:43