A Metz, Marine Le Pen accuse l’UE d’un « Tchernobyl économique, social et identitaire »
A Metz, Marine Le Pen accuse l’UE d’un « Tchernobyl économique, social et identitaire »
Par Lucie Soullier (Envoyée spéciale à Metz)
Alors que les sondages sont bons pour le Rassemblement national à trois semaines du scrutin européen, une pointe d’agacement commence à poindre dans l’équipe de Marine Le Pen, à cause d’une campagne qui n’imprime pas.
La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, le 1er mai à Metz. / Cyril Bitton / French-Politics pour Le Monde / Cyril Bitton
Des dizaines de « On arrive » patientent sur les affiches empilées à l’entrée du parc des expositions de Metz. Voilà près de cinq mois que le slogan pour les élections européennes du Rassemblement national (RN) est trimballé de gymnase en salle des fêtes. Du Vaucluse à la Manche en passant par la Lorraine, d’exploitation agricole en port de pêche, les « Vive la France » de Marine Le Pen y accompagnent ceux de Jordan Bardella, intronisé tête de liste dès le mois de janvier. Les noms de leurs 77 colistiers ont, depuis, été dévoilés au grand complet. La stratégie européenne du RN ronronne, presque trop rodée dans une campagne qui n’a pas vraiment démarré.
Le duo désormais bien entraîné a fait étape à Metz pour s’attarder dans un « banquet patriotique », mercredi 1er mai. Un millier de personnes s’y sont retrouvées autour d’un pâté en croûte et d’un même mot d’ordre : « La protection c’est la nation. » L’occasion de rassembler les forces lepénistes, et de compter, à nouveau, les jours qui les séparent du scrutin. « Il nous reste moins d’un mois pour arracher le sort de cette bataille électorale de la plus haute importance. Pour cela : convaincre, convaincre et encore convaincre », lance Marine Le Pen à la tribune lorraine.
Derrière elle, c’est tout le ban et l’arrière-ban du parti d’extrême droite qui applaudit, réuni pour ce qui aurait dû être la rampe de lancement de la dernière ligne droite de la campagne. Encore raté. Mercredi 1er mai, ce sont surtout les manifestations parisiennes – entre syndicats et « gilets jaunes » – qui ont occupé le devant de la scène médiatique. A Montigny-lès-Metz, devant la statue de Jeanne d’Arc, voilà Marine Le Pen qui attaque la « complaisance » du gouvernement à l’égard des « milices d’extrême gauche » destinée, selon elle, à « discréditer le mouvement populaire des “gilets jaunes” ».
Sondages favorables
Pas d’inquiétude pourtant dans l’état-major RN : les sondages sont favorables. Depuis des semaines, la liste d’extrême droite campe autour des 20 %, en face-à-face direct avec celle de La République en marche portée par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, pour ravir la première place le 26 mai. Mais une pointe d’agacement commence à poindre dans l’équipe de campagne de Marine Le Pen, car ils ont beau faire, multiplier les meetings en France et les déplacements en Europe, la campagne n’imprime pas. « Il ne faut pas se mentir, les gens s’en fichent un peu de l’Europe », confie Philippe Boursaud, conseiller municipal RN de Carvin, dans la terre frontiste du Pas-de-Calais, en ajoutant qu’« en plus, le scrutin tombe le jour de la Fête des mères ». Fichu calendrier.
Marine Le Pen a répondu aux questions des journalistes, mercredi, devant la statue de Jeanne D’Arc, à Montigny les Metz. / Cyril Bitton / French-Politics pour Le Monde / Cyril Bitton
En attendant l’adversaire qui tarde à sortir les armes, Marine Le Pen a donc passé la journée à rassurer ses troupes à l’aide de quelques rituels. L’incontournable hommage du parti d’extrême droite à Jeanne d’Arc, pour ouvrir la journée. Le traditionnel muguet, offert par quelques fervents militants. Et les références à Matteo Salvini, évidemment. L’« ami » au pouvoir en Italie est apparu dans un clip vidéo devenu presque habituel. Le ministre de l’intérieur de la Lega italienne a renouvelé son soutien à Marine Le Pen, et donné rendez-vous aux nationalistes le 26 mai pour « écrire l’histoire ensemble » et « redonner de la dignité au peuple français humilié et trompé par Macron ».
« Ne vous laissez pas voler cette élection par ceux qui ne veulent pas que cette campagne ait lieu, peut-être parce qu’ils n’ont pas confiance en leur candidate », prévient Jordan Bardella, la tête de liste du parti déjà exercé aux discours de campagne. Cibles à peine voilées : Emmanuel Macron et la tête de liste de La République en marche, Nathalie Loiseau.
« Localisme »
« Macron enterre le débat européen », tance un responsable RN. Mais peu importe, pour le numéro 5 de la liste, Hervé Juvin. L’essayiste partisan de l’écologie civilisationnelle n’est pas peu satisfait d’être parvenu à installer ses thèmes favoris dans le discours de la patronne du RN : « Le sujet de l’écologie et des frontières, par exemple. »
Des concepts que Marine Le Pen reprend d’ailleurs à la tribune : « localisme », « juste échange », « civilisation écologique »… En coulisses, l’équipe de campagne se félicite. Que le ministre de l’intérieur Christophe Castaner parle d’ONG « complices des passeurs » ou qu’Emmanuel Macron évoque « l’esprit français », le RN y voit une « victoire culturelle ». Certes, cela ne ramène pas de voix, mais « ce n’est pas ça qui compte le plus », sourit Hervé Juvin : « Ce qui compte, c’est d’installer nos idées au pouvoir. »
Ce scrutin européen n’est finalement « qu’une étape pour envoyer Marine Le Pen à la présidence », résume Laxette Pirbakas-Grisoni, en douzième position sur la liste du RN, sous les applaudissements. « Nous installons un projet pour l’élection européenne, mais aussi pour la présidentielle », ajoute le conseiller de Marine Le Pen en position éligible aux européennes Philippe Olivier. « On nous a reproché la brutalité de notre projet européen, on l’a donc repensé… »
Si elle ne parle plus de sortir de l’Union européenne, Marine Le Pen ne se prive pas de la rendre responsable de tous les maux, l’affublant du surnom d’« UERSS » et de « cimetière de promesses trahies », responsable d’un « Tchernobyl économique, social et identitaire ». L’identité, c’est Jordan Bardella qui se charge d’en faire le cœur de son discours, appelant les Français à « défendre leur pays » et à « stopper Macron » le 26 mai pour « faire résonner ce message jusqu’à Matignon, jusqu’à l’Elysée : le peuple français est encore vivant et (…) ne se laissera pas faire » :
« Nous sommes les propriétaires de la maison France et comptons bien le rester pendant des années encore. »
Les drapeaux bleu-blanc-rouge s’agitent pour répondre à son appel sur un refrain frontiste scandé en chœur : « On est chez nous. » Les troupes nationalistes sont prêtes, revigorées par les victoires de leurs voisins européens. Et Philippe Olivier prévient, le parti d’extrême droite s’adaptera au terrain : « Si ça parle d’Europe, on parlera d’Europe. Si ça parle de dézinguer Macron… et bien on dézinguera Macron. » La campagne a finalement bien commencé.