« Dieu existe, son nom est Petrunya » : échapper au joug du patriarcat par la nage
« Dieu existe, son nom est Petrunya » : échapper au joug du patriarcat par la nage
Par Thomas Sotinel
Pour son troisième long-métrage, Teona Strugar Mitevska s’attache à une jeune femme en butte aux traditions macédoniennes.
Les films venus des Balkans et du Danube, de la Croatie à la Roumanie, semblent souvent issus d’un cauchemar fait de séquelles indélébiles, d’espoirs étouffés dans l’œuf, et de ce point de vue, Dieu existe, son nom est Petrunya ressemble aussi bien aux drames réalistes roumains qu’aux comédies satiriques bulgares. Pourtant, le troisième long-métrage de la réalisatrice Teona Strugar Mitevska se détache nettement dans ce foisonnement de remords et de désillusions.
Cette singularité tient essentiellement à Petrunya, le personnage, et à son interprète Zorica Nusheva, une figure rare qui, par sa seule présence à l’écran réorganise toute la galerie des représentations féminines au cinéma. Petrunya a plus de 30 ans, elle vit chez ses parents, plus exactement dans le lit de la chambre d’enfant qu’elle n’a jamais quittée. Elle n’est pas paresseuse, mais dans sa petite ville de Macédoine du Nord (l’ex-Ancienne république yougoslave de Macédoine), il n’y a pas de travail pour une diplômée de l’université de Skopje, surtout si c’est en histoire.
Un geste lourd de conséquences
Quand on la rencontre, forcée par sa mère de se rendre à un entretien dans une usine textile, Petrunya fait peine à voir. Trop grande, trop lourde au regard des critères masculins, elle oppose au monde une morne bouderie. On a vu, dès le début du film, la campagne environnante sillonnée de processions religieuses. Un rituel local veut qu’à la fonte des neiges, le pope de la ville jette dans la rivière une croix de bois que les jeunes gens se disputent dans l’eau glacée. Celui qui attrape le trophée est promu au rang de célébrité locale et se voit promettre amour et prospérité par les autorités religieuses. Petrunya, qui passe par là, se jette dans les flots et emporte la croix. Ce geste irréfléchi fait vaciller toute la société qui l’environne.
Les jeunes gens qui sont certains que la compétition était réservée aux mâles, le prêtre qui est obligé de trouver les arguments théologiques qui justifieraient pareille discrimination, le commissaire de police qui voit bien que l’ordre a été troublé, la mère de Petrunya qui préférerait que sa fille fasse des efforts de présentation : il se forme contre la porteuse de croix un front aussi divers dans sa composition qu’uni dans son désir de préserver le patriarcat.
La jeune femme est alors forcée à l’héroïsme, sortant de sa position par défaut (le mutisme, l’indifférence affichée) pour affronter le sabre et le goupillon dans les confins du poste de police local assiégé à la fois par une journaliste (Labina Mitevska) et la foule des post-adolescents qui seraient presque prêts au lynchage pour récupérer l’objet de bois.
Zorica Nusheva dessine très nettement le parcours épuisant que son personnage est obligé d’accomplir en une nuit. Sa culture et son intelligence, laissées en jachère pendant les années d’inactivité, reprennent du service, lui permettant de garder la tête haute face aux figures du pouvoir, commissaire ou pope. La réalisatrice et scénariste ne se donne pas la peine d’élever ces pantins au rang de personnages. Et le père de Petrunya a beau être plus sympathique, il reste le simple représentant de la défunte idéologie socialiste.
Zorica Nusheva dans « Dieu existe, son nom est Petrunya », de Teona Strugar Mitevska. / SISTERSANDBROTHERMITEVSKI / PYRAMIDE INTERNATIONAL
Teona Strugar Mitevska préfère se concentrer sur les personnages féminins, la formidable Petrunya, bien sûr, mais aussi la journaliste, citadine, salariée, qui n’en a pourtant pas fini avec la division du travail domestique et la discrimination salariale, la mère enserrée dans une infernale combinaison de préceptes religieux et de préjugés sociaux, la meilleure amie, dont l’armure cynique est fêlée par le sentimentalisme.
La seconde partie du film, un huis clos au commissariat, est moins enlevée que la première qui traversait toute une société sur les pas de l’héroïne. Et plus on approche de la conclusion, plus la menace d’une idylle romantique se précise, à l’encontre même du propos du film. Reste que Dieu existe, son nom est Petrunya parvient, à travers les idiosyncrasies historiques et religieuses de la situation, à une espèce d’universalité dans son évocation de la lutte des genres.
Dieu existe, son nom est Petrunya bande-annonce, sortie le 01/05/2019
Durée : 01:30
Film belge, croate, français, macédonien et slovène de Teona Strugar Mitevska. Avec Zorica Nusheva, Labina Mitevska, Simeon Moni Damevski (1 h 40). Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/dieu-existe-son-nom-est-petrunya.html