Après « Metro Exodus » et « Borderlands 3 », « Rocket League » est la nouvelle prise d’Epic Games, qui a racheté son studio créateur. / Psyonix

Coup de théâtre dans l’industrie du jeu vidéo. Le studio Psyonix, le créateur américain de Rocket League, l’une des stars de l’e-sport, a déclaré mercredi 1er mai être en cours de rachat par Epic Games, la société responsable du jeu phénomène de 2018, Fortnite. Le montant de la transaction n’a pas été communiqué. Les deux compagnies attendent un accord des autorités administratives, prévu pour fin mai, début juin.

« Sur le long terme, nous prévoyons de porter Rocket League sur l’Epic Games Store et utiliser cette nouvelle relation pour faire croître le jeu d’une manière que nous n’aurions pas pu faire seuls », s’est félicité Psyonix dans un communiqué. Rocket League possède une base de plus de 50 millions de joueurs dans le monde depuis son lancement en 2015, et un prestigieux circuit compétitif auquel participent des équipes appartenant à de grands noms du sport, comme le Paris Saint-Germain ou le FC Barcelone.

Guerre du contenu

Pour Epic, éditeur depuis décembre 2018 de l’ambitieuse boutique en ligne Epic Games Store, qui se positionne comme un concurrent agressif au géant historique du secteur, Steam, il s’agit d’une prise majeure. Le très populaire jeu de football mécanique est le premier titre appartenant au top 10 des jeux les plus joués sur Steam dont l’éditeur de Fortnite parvient à faire l’acquisition.

A terme, relève la presse américaine, il devrait rester disponible sur la plate-forme du géant historique de la distribution sur ordinateur, mais uniquement pour ceux l’ayant déjà acheté, Epic en devenant le distributeur exclusif pour les nouveaux acquéreurs.

Avec le rachat de Psyonix, société dont elle était historiquement proche, Epic fait coup double : le nouveau géant américain du jeu vidéo prive son intouchable concurrent d’un jeu populaire, tout en sécurisant une exclusivité en amont de l’arrivée en fin d’année de Stadia, le très ambitieux service de jeu à la demande de Google. Car dans la bataille des stores qui se profile, chacun des acteurs est amené à se constituer un portefeuille de titres majeurs qui lui sont propres.

« Metro Exodus » pour Epic, « Halo » côté Steam...  Chaque plate-forme joue ses cartes pour attirer le chaland, comme l’explique avec humour ce détournement du manga Yu-gi-oh. / KnowYourMème

Valve, éditeur de Steam, possède déjà la série Half-Life et Portal, et les phénomènes au long cours Counter-Strike et DotA 2. En 2018, le géant américain a annoncé l’acquisition du studio Campo Santo (responsable du très beau succès critique Firewatch), et va proposer dans les mois à venir une compilation des jeux de la célèbre série de Microsoft Halo. De son côté, Google a annoncé la création d’une unité de production interne, sur le modèle des Netflix Originals, et multiplie en ce moment les accords d’exclusivité avec les studios indépendants.

Une stratégie d’acquisitions qui dérange

Seul hic, et de taille : même si elle lui a permis d’attirer le nombre stratosphérique de 85 millions d’inscrits en seulement quelques mois et est jugée positive par les professionnels, la stratégie d’acquisitions d’exclusivités d’Epic Games est particulièrement impopulaire auprès des joueurs.

D’une part, parce qu’une grande majorité d’entre eux a ses habitudes sur Steam – qui compte depuis dimanche 28 avril un milliard d’utilisateurs inscrits, dont 90 millions d’utilisateurs actifs mensuels – et voit d’un mauvais œil l’idée de devoir s’inscrire à une autre plate-forme, par ailleurs très chiche en fonctionnalités, juste pour profiter d’un jeu, quand toute sa ludothèque était concentrée depuis des années au même endroit.

D’autre part, la compagnie aux 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018, possession à 40 % du géant japonais de l’Internet Tencent, est accusée de développer son catalogue exclusivement à coup de chéquier, au lieu de développer en interne de nouveaux titres innovants.

Sur Reddit, les utilisateurs s’amusent à comparer Epic à la Mort, qui viendrait faucher l’un après l’autre chacune des jeux dont la société acquiert l’exclusivité. / Reddit

L’impopularité de la méthode avait déjà valu des campagnes de cybervandalisme contre la réputation des jeux ayant déjà franchi le rubicon. En février, les jeux de la série Metro ont ainsi essuyé sur Steam une vague de review bombing (une mobilisation d’internautes pour faire chuter sa note utilisateurs), leurs créateurs avaient eu le malheur d’annoncer la sortie de son nouvel opus, Exodus, en exclusivité sur l’Epic Store. Pour certains joueurs, la fuite de leur série fétiche vers une autre contrée avait été perçue comme une trahison.

Une nouvelle vague de review bombing, ciblant cette fois la série Borderlands (dont le troisième opus, annoncé en mars, sera également une exclusivité temporaire de l’Epic Store), avait fini par forcer Valve à mettre en place sur Steam une politique de modération inédite afin de supprimer ces mauvaises notes.

De son côté, Tim Sweeney, le patron d’Epic Games et première fortune de l’industrie, s’est engagé sur Twitter a arrêté sa politique d’exclusivités si Valve arrêtait de prélever 30 % de commission aux développeurs, pour s’aligner sur les 12 % de l’Epic Store.

En vingt-quatre heures, « Rocket League » a fait l’objet de plus de 1 200 critiques négatives sur Steam. / Capture d'écran

L’annonce du rachat de Psyonix a elle aussi été très mal perçue par sa communauté, certains joueurs manifestant en ligne leur colère, tandis que d’autres ont estimé que ce rachat permettra à Rocket League de renforcer sa présence sur la scène e-sport, d’enrichir son contenu, voire de permettre, comme dans Fortnite, à n’importe quel joueur de rejoindre n’importe quelle partie, et ce quelle que soit sa console de jeu.

Face à la polémique née de ce rachat, Epic Games a de son côté préféré temporiser. Interrogée par le site spécialisé US Gamer, la compagnie rappelle qu’elle « n’a pas annoncé qu’elle prévoyait arrêter de vendre le jeu [sur Steam] ». Sans non plus démentir.