Football : discorde mémorielle vingt-sept ans après le drame de Furiani
Football : discorde mémorielle vingt-sept ans après le drame de Furiani
Par Adrien Pécout (Bastia, envoyé spécial)
Un collectif demande qu’en hommage aux victimes de l’effondrement de la tribune en Corse aucun match ne soit joué le 5 mai.
Josepha Guidicelli (à gauche), la présidente du collectif des victimes du drame du stade de Furiani du 5 mai 1992, et sa soeur Lauda. / RITA SCAGLIA POUR "LE MONDE"
Cinq matchs de championnat doivent se dérouler dimanche. C’est cinq de trop, selon le collectif des victimes du 5 mai 1992. Leur revendication : que la Ligue de football professionnel (LFP) finisse par renoncer à tout match ce jour-là en France, quel que soit le moment de la semaine. Un gel total pour mieux commémorer « la plus grande catastrophe du sport français ». Il y a vingt-sept ans, une tribune du stade de Furiani s’effondrait avant un Bastia-Marseille : dix-huit morts et plus de 2 300 blessés parmi les spectateurs.
« Dix-neuf morts », corrige même à présent Josepha Guidicelli. La présidente de l’association, qui a elle-même perdu son père à Furiani, inclut un homme disparu il y a quatre ans, « des suites des blessures qu’il avait eues lors de la catastrophe ».
Ce collectif a déjà obtenu une première victoire symbolique. Ou plutôt une demi-victoire. Depuis 2015, l’Etat reconnaît le caractère national du drame et empêche tout match professionnel le 5 mai, seulement s’il s’agit d’un… samedi. Pourquoi le samedi, et pas le dimanche, par exemple ? « Honnêtement, on ne sait pas », assure Josepha Guidicelli.
Alors elle continue. Il y a moins de deux semaines, le 23 avril, cette contrôleuse de gestion a fait parvenir une lettre ouverte à la LFP. Avec le soutien public, entre-temps, de plusieurs anciens joueurs ou entraîneurs de Bastia.
Début du combat en 2012
Josepha Guidicelli (à droite), la présidente du collectif des victimes du drame du stade de Furiani du 5 mai 1992, et sa soeur Lauda. / RITA SCAGLIA POUR "LE MONDE"
Ce combat remonte à la saison 2011-2012. Cette saison-là, le calendrier initial prévoit la finale de la Coupe de France un 5 mai, vingt ans après. « A ma petite échelle, j’essaie alors de faire bouger les choses. » D’abord, une lettre à la ministre des sports, Chantal Jouanno. « Je ne l’avais pas dit à ma mère, elle l’a découvert lorsqu’elle a ouvert la réponse du ministère ! »
La Fédération française de football accepte de décaler la finale à une autre date, mais la Ligue professionnelle veut profiter du vide pour y caser des matchs de championnat. « Une pression populaire et médiatique » l’en dissuade finalement, apprécie Lauda, sœur aînée de Josepha.
Quelque 40 000 internautes signent une pétition pour le « gel » des matchs. Une initiative à laquelle François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, apporte son soutien lors d’un déplacement en Corse. « Dans beaucoup de stades du pays, des banderoles de supporteurs nous ont aussi soutenus. Malheureusement pour les instances du football, on a nationalisé la tragédie. » Sous-entendu : plutôt que de la réduire à une question insulaire.
Lauda a aussi une responsabilité politique depuis 2018 : psychologue de profession, elle est conseillère exécutive de Corse chargée, entre autres, du sport (sur la liste du parti autonomiste Femu a Corsica).
Minute de recueillement
Les deux sœurs avaient 4 ans et 6 ans à la mort de leur père Pierre-Jean, dit « Pierrot », technicien pour l’antenne locale de Radio-France. Toutes deux défendent la nécessité d’un « devoir de mémoire ». Elles ont donné rendez-vous au Monde dans un bel appartement du centre-ville de Bastia. Au domicile de leur mère, Vanina, également présente.
C’est elle qui avait créé le collectif, à l’été 1992, principalement pour que « justice » soit faite : « J’avais écrit une lettre ouverte dans Corse-Matin, avec mon numéro de téléphone, parce que j’avais l’impression que la télévision et les journaux se préoccupaient plus du sort des responsables de la catastrophe que de celui des victimes. »
Trois ans plus tard, en décembre 1995, au terme d’un procès en appel où comparaissaient douze prévenus, un seul écopait d’une peine de prison ferme : le responsable de la société qui a construit la tribune, un édifice monté à la va-vite afin que le Sporting club de Bastia accueille plus de spectateurs et réalise donc plus de recettes.
L’association devrait encore réunir au moins une « centaine de membres » cette année, estime Josepha. « Ce que je trouve fabuleux, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes, et des personnes du continent, aussi », ajoute Vanina, enseignante dans un lycée professionnel.
Contactée, la Ligue n’a pas réagi aux sollicitations du Monde. Une minute de recueillement est prévue avant les matchs. Pour la deuxième année, la famille Guidicelli s’apprête à organiser une journée d’étude sur la question des supporteurs. « Pour que ce drame serve à quelque chose », insiste Vanina. Rendez-vous est fixé à samedi, à la veille des commémorations devant la stèle de Furiani.