Elections européennes : la galère des jeunes militants pour mobiliser les étudiants
Elections européennes : la galère des jeunes militants pour mobiliser les étudiants
Par Eric Nunès
Trop complexe, trop éloigné, pas incarné… 68% des Français âgés de 18 à 25 ans affichent leur désintérêt pour le scrutin prévu du 23 au 26 mai, selon un sondage IFOP pour l’Anacej.
Selon un sondage Ifop, l’indice d’abstention atteint 77 % chez les jeunes, alors qu’il est de 59,5 % pour l’ensemble des Français. / Martin Argyroglo/ Sciences Po
Cela fait des mois qu’ils rament pour l’Europe. Ils sont étudiants, certains dans une université, d’autres au sein d’un institut d’études politiques ou une école de management, tous se sont engagés dans un improbable challenge : intéresser leurs pairs aux élections européennes qui se dérouleront du 23 au 26 mai (le 26 en France). A quelques jours du scrutin, sentent-ils un engouement qui fera oublier qu’en 2014, lors de la précédente échéance européenne, seuls 24 % des jeunes Français de 18 ans à 24 ans se sont déplacés aux urnes ?
Pour ces jeunes europhiles, la question appelle toujours un temps de silence et une réponse embarrassée. « Ce n’est pas facile », reconnaît Thibault Besnier, 21 ans, étudiant à Sciences Po Grenoble et membre de l’association Alp’Europe, dont la mission est de promouvoir l’Europe et l’Union européenne (UE). « Cela ne passionne pas », confirme Maria Popczyk, étudiante à Sciences Po Paris et présidente des Jeunes Européens de son établissement (une association qui introduit l’Europe dans le débat public).
Un constat que confirme un sondage de l’IFOP pour l’Anacej, Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes, et Les Jeunes Européens que Le Monde dévoile : alors que la mandature a été marquée par la victoire de courants populistes dans plusieurs Etats membres et par la volonté d’une majorité des Britanniques de quitter l’Union européenne, les jeunes Français (18/25 ans) affichent toujours leur désintérêt pour la campagne électorale (à 68 %), et l’indice d’abstention atteint 77 %, alors qu’il est de 59,5 % pour l’ensemble des Français.
« Une complexité absolument abominable »
Pourquoi si peu d’intérêt ? L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) a publié le 30 avril un baromètre sur le rapport des jeunes à l’Europe. Interrogés sur le mot qui « correspond bien à l’Union européenne », 64 % des sondés de 18 ans à 30 ans ont répondu : « complexité ». A quoi sert le Parlement européen ? Quel est le rôle du Conseil européen ? Ce dernier n’est donc pas le même que le Conseil de l’UE ? Quid de la Commission européenne ? « Quand vous assurez des cours de droit européen et que vous devez expliquer à des étudiants de première année comment cela fonctionne, vous savez qu’il va vous falloir du temps, prévient Popravka Lencka, doctorante en droit de l’UE. C’est d’une complexité absolument abominable. »
De la complexité donc, voire un sentiment d’opacité, qui se traduit par une faible appétence pour l’institution européenne. « Malgré deux années d’études où nous avons travaillé sur le fonctionnement de l’Union européenne, on a toujours l’impression qu’il s’agit d’une boîte noire, posée quelque part à Bruxelles », concède Adrien Villard, président de European Horizons HEC Paris, think tank consacré à la construction européenne. « Et, dès lors que les citoyens ne comprennent pas une institution, cela crée du rejet », constate Eve-Marie Ganczarczyk, étudiante en relations internationales à l’Inseec et militante Les Républicains. Le fossé se creuse entre le Parlement européen et ses électeurs. « C’est symptomatique de la défiance généralisée vis-à-vis de la politique et la démocratie, analyse Olivier Duhamel, constitutionnaliste et professeur à Sciences Po. Un sentiment grandissant que le vote ne sert à rien et ainsi l’institution s’éloigne des Européens. »
Un autre facteur explique le manque d’intérêt des étudiants pour la campagne européenne. Il renvoie toujours un sentiment de méconnaissance et d’éloignement, mais cette fois vis-à-vis des candidats. Charlotte, étudiante en deuxième année de droit à Nanterre (Hauts-de-Seine), maîtrise le fonctionnement des institutions européennes et s’inquiète d’un virage populiste des pays de l’Union : « Il faut une prise de conscience du danger d’un repli nationaliste et de la fin de l’Europe telle que nous la connaissons », s’alarme t-elle. Interrogée, jeudi 4 avril, jour du premier débat télévisé de la campagne, sur le nom de l’un des douze candidats présents, la jeune femme sèche.
« Aucun n’est connu, il n’y a pas de personnalité charismatique », estime pour sa part Adrien Villard. Laissant l’impression d’un scrutin de second rang, sans véritable enjeu. Enfin, la nouvelle mouture du scrutin a mis fin à un système de listes régionales pour une liste nationale, éloignant encore un peu plus les électeurs de leurs futurs élus. « Beaucoup de jeunes ne font pas le lien entre l’acte de vote et en quoi l’échelon européen peut transformer leur vie », analyse Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’institut de sondage IFOP.
Faire un travail de réhabilitation de l’UE
Comment réhabiliter l’UE et les élections au Parlement auprès des étudiants ? « Il faut de la pédagogie, de la pédagogie, de la pédagogie », martèle Eve-Marie Ganczarczyk. Tous les étudiants europhiles qui se démènent pour faire passer le message que le scrutin européen compte en témoignent. Pour ce faire, Maria Popczyk et les membres de son association interviennent dans les écoles parisiennes afin de combler les failles des programmes nationaux.
Même combat pour Adrien Villard, l’étudiant de HEC qui est intervenu dans le lycée Poincaré, à Palaiseau, dans l’Essonne : « Les lycéens sont très intéressés, mais ils ne connaissent rien », constate-t-il. Eveiller la curiosité des futurs électeurs pour les rouages européens « redonne de l’enthousiasme. Nous semons les graines qui feront l’Europe de demain », espère Maria Popczyk. L’association intervient chaque année dans trois cents classes en France. Une goutte d’eau. « Pour être efficace, il faut créer dans le cadre scolaire une éducation civique européenne », poursuit l’étudiante.
« La marge de manœuvre pour l’Europe, c’est l’éducation, estime également Popravka Lencka. Il faut expliquer le rôle des institutions et ce que cela implique pour le citoyen lambda dans sa vie au quotidien. » La politique agricole commune, la libre circulation des personnes, l’écologie… l’Europe agit dans de nombreux secteurs du quotidien. Avoir des électeurs éclairés sur le fonctionnement des institutions pourrait « limiter l’influence de l’Europe-bashing utilisé par une frange du monde politique, qui vise à se dédouaner, aux yeux des électeurs, de leurs propres décisions », estime encore la doctorante.
L’élection d’un président européen au suffrage universel permettrait-elle de mettre un visage sur une fonction lointaine et de donner du sens au vote ? « L’Europe doit adopter une fonction de proximité », croit Quentin Lagache, étudiant en économie-gestion à Nanterre. « Comme les communes ont leur mairie, l’Europe doit localement avoir un bâtiment que je touche », réclame Hugo Thomas, étudiant à l’Inseec. Un lieu concret, où les services dispensés par l’institution peuvent être expliqués.
L’Europe du programme Erasmus, de la libre circulation, de la monnaie unique dont disposent depuis leur naissance les primo-votants n’est pas un acquis. Selon le sondage réalisé par l’IFOP, le Rassemblement national arrive en tête, à 19 %, dans les intentions de vote des jeunes, à égalité avec la liste La République en marche.