L’artiste Laure Prouvost lors du prestigieux Turner Prize qu’elle a remporté avec son installation « Wantee », le 2 décembre 2013. Elle représente le pavillon français à la 58e Biennale de Venise. / PETER MUHLY/AFP

La Biennale de Venise qui se tient du 11 mai au 24 novembre, est au monde de l’art contemporain ce que les Jeux olympiques sont au sport et le Festival de Cannes au cinéma : une compétition de haut niveau de talents venus des quatre coins du monde. Au total, 90 nations rivalisent cette année dans l’espoir de décrocher un Lion d’or ou, à défaut, une « visibilité exceptionnelle auprès des décideurs les plus influents – critiques, musées, collectionneurs », selon la galeriste parisienne Nathalie Obadia, qui représente l’artiste Laure Prouvost, locataire cette année du pavillon français.

L’impact sur la carrière et par ricochet sur le marché n’est pas le même selon que les créateurs invités soient déjà reconnus ou émergents, et qu’ils viennent de pays prescripteurs ou de contrées moins en vue. Sans oublier l’effet immédiat produit par l’œuvre sur un public en quête de sensations fortes mais prompt au zapping.

La Biennale de Venise ne va probablement pas changer la vie du septuagénaire Martin Puryear, qui représente les Etats-Unis, dont les plus grandes sculptures atteignent le million de dollars. En revanche, elle pourrait booster la carrière de Laure Prouvost, née en 1978. La jeune femme, qui réalise des vidéos déjantées, des tapisseries et des céramiques tout en écrivant des injonctions douces ou agressives en lettres blanches sur fond noir, n’est pas une inconnue.

L’effet « vu à Venise »

Elle a déjà reçu en 2013 le prestigieux Turner Prize à Derry (Irlande du Nord) et exposé dans des musées et centres d’art importants comme le Château de Rochechouart (musée d’art contemporain de la Haute-Vienne), le Hangar Bicocca à Milan, le Red Brick Art Museum à Pékin, et le MuHKA d’Anvers, en Belgique. « Elle a régulièrement vendu aux collectionneurs français et internationaux, donc on ne peut pas dire qu’il y a eu un soudain intérêt depuis sa nomination, précise Nathalie Obadia. Disons plutôt que désormais des ventes d’œuvres à des prix plus importants, entre 50 000 et 100 000 euros, sont plus fréquentes. De nouveaux collectionneurs qui étaient hésitants se sont décidés. »

Bien que Cathy Wilkes (Grande-Bretagne) jouisse déjà d’une forte reconnaissance institutionnelle, un nouvel emballement s’est aussi fait sentir. « Je suis contactée par des collectionneurs que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam. C’est incroyable cet effet “vu à Venise, alors que somme toute une œuvre n’est guère différente avant ou après », sourit son galeriste bruxellois Xavier Hufkens. Ce dernier n’entend pas spéculer sur la Biennale en changeant du tout au tout les prix de ses sculptures et installations, qui oscillent actuellement entre 50 000 et 200 000 livres sterling (58 000 et 232 000 euros).

« La Biennale de Venise ne crée pas de toutes pièces de nouveaux intérêts, mais cela permet plutôt de confirmer des intérêts existants », Isabelle Alfonsi, codirectrice de la galerie Marcelle Alix

Pour Isabelle Alfonsi, codirectrice de la galerie Marcelle Alix qui représente Pauline Boudry et Renate Lorenz, locataires du pavillon suisse, « la Biennale de Venise ne crée pas de toutes pièces de nouveaux intérêts, mais cela permet plutôt de confirmer des intérêts existants ». Pas question d’ailleurs d’augmenter de manière déraisonnée le prix de ce tandem, intéressé par la relecture des marges, et dont les prix s’échelonnent de 10 000 euros pour des wig pieces (pièces murales réalisées en cheveux synthétiques) à 30 000 euros pour des installations vidéo.

« Quand les éditions de vidéos s’épuisent vite, on peut décider d’augmenter les prix demandés pour les dernières éditions disponibles, mais nous procédons à l’augmentation des prix des artistes régulièrement, en suivant un rythme modéré qui accompagne leur visibilité et leurs besoins, précise Isabelle Alfonsi. La participation à la Biennale peut être l’occasion de le faire, parce qu’on se rend compte avec cette actualité que les prix sont restés bas pendant longtemps, mais ce n’est jamais dans des proportions folles. »

Premier pavillon Madagascar

La Biennale profite surtout aux artistes issus de pays sur lesquels le projecteur est moins souvent braqué. Prenons le cas de Joël Andrianomearisoa, qui représente le premier pavillon de Madagascar à Venise. L’artiste déploie depuis plusieurs années une œuvre au noir poétique, jouant sur des désirs et émotions fragiles. « Sa nomination a été un vrai déclencheur pour les collectionneurs, notamment avec l’acquisition d’un coup de sept œuvres par la Fondation Zinsou », confie Eric Dereumaux, directeur de la galerie RX à Paris. Les prix devraient aussi évoluer, sans forcément s’emballer. « Il faut compter aujourd’hui entre 5 000 et 25 000 euros en moyenne, ce qui laisse imaginer une grande marge de manœuvre », poursuit Eric Dereumaux.

Ce potentiel guette aussi Angelica Mesiti, dont les prix débutent autour de 16 000 dollars (14 290 euros). L’artiste australienne a une actualité riche. Non seulement elle représente son pays à Venise, mais elle expose simultanément des installations vidéo immersives au Palais de Tokyo, à Paris. « Participer à un événement artistique d’une telle ampleur ne permet pas seulement d’être sous le feu des projecteurs, mais de faire partie d’une conversation. Si la renommée d’Angelica n’est plus à faire en Australie, en Europe, sa réputation reste encore à consolider », reconnaît Léa Chauvel-Lévy, codirectrice de la Galerie Allen, qui la représente à Paris. Et d’admettre que, depuis sa nomination, « les articles sur elle pleuvent et les demandes de prix augmentent ».

Attention toutefois : si la Biennale a à court terme un effet accélérateur comparable au Goncourt pour le livre ou à l’Oscar pour le cinéma, elle ne suffit pas à conforter la carrière d’un artiste. Pour fêter le centenaire de cet événement en 1995, l’artiste français Christian Boltanski avait publié un livre répertoriant les milliers de créateurs qui y avaient participé. A peine 10 % d’entre eux étaient restés dans l’histoire.

Et comme le rappelle avec sagesse Isabelle Alfonsi, « il y a d’autres accomplissements dans les carrières d’artistes que les expositions internationales, d’autres lieux où travailler, parfois avec plus de temps et de sérénité ». Le thème sur lequel travaillent d’ailleurs Renate Lorenz et Pauline Boudry est celui du moving backwards, l’intuition qu’il faudrait peut-être réhabiliter l’idée de marcher vers l’arrière, au sens propre, mais aussi au figuré…

Biennale de Venise, 11 mai-24 novembre, www.labiennale.org