Francis Bacon et Jeff Koons aux enchères
Francis Bacon et Jeff Koons aux enchères
Par Roxana Azimi
Quelle œuvre atteindra le prix le plus élevé en mai, une toile du peintre britannique ou une sculpture de l’ancien courtier de Wall Street ? Le suspense est total.
Rabbit, sculpture de Jeff Koons, prix estimé entre 45 et 63 millions d’euros
La maison de vente aux enchères britannique Christie’s propose, le 15 mai, Rabbit, une sculpture de Jeff Koons estimée 50 à 70 millions de dollars (45 à 63 millions d’euros) provenant de la collection de l’éditeur S.I. Newhouse. Son éternel rival Sotheby’s réplique le 16 mai avec une Tête d’homme hurlant de Francis Bacon, issu de la collection Richard et Jane Lang et évalué 20 à 30 millions de dollars (18 à 28 millions d’euros). A la traditionnelle rivalité entre les deux maisons de vente se greffe cette fois une lutte entre deux médiums, deux visions de l’art et deux marchés.
Pour vanter les mérites du Rabbit, Christie’s jongle entre le superlatif et le sensationnel : « une chance de posséder une controverse », peut-on lire sur son site Internet. « Pour beaucoup de gens, Rabbit est une percée dans le cours de l’histoire de l’art, qui signale la fin de toutes les notions traditionnelles de la sculpture, et c’est le début d’une nouvelle ère pour l’art contemporain », affirme Alex Rotter, spécialiste chez Christie’s.
Cette sculpture en acier inoxydable avait été présentée en 1986 à la galerie Sonnabend. Editée en trois exemplaires plus un exemplaire d’artiste, elle fut achetée pour 40 000 dollars (36 000 euros) par l’artiste Terry Winters, avant d’atterrir entre les mains du marchand Larry Gagosian, qui le revendit en 1992 à S.I. Newhouse pour un million de dollars (900 000 euros).
Autant dire que la maison de vente fera tout pour que l’œuvre détrône le record de 90,3 millions de dollars (81 millions d’euros) détenu par David Hockney, un peintre britannique qui eut « l’outrecuidance » de ravir en 2018 la couronne de Koons, dont un Balloon dog s’était vendu pour 58 millions de dollars (52 millions d’euros) en 2013.
Rôle des banquiers
Pour l’agitateur et galeriste Stéphane Corréard, qui avait ferraillé contre l’installation du Bouquet de tulipes de Koons à côté du Palais de Tokyo, à Paris, le timing de la vente du Rabbit n’est pas anodin. Il survient après la controverse parisienne, mais aussi dans la foulée du licenciement par Koons d’une bonne partie de ses effectifs. Sans parler d’un procès intenté en 2018 par un collectionneur qui n’avait pas été livré de trois œuvres commandées.
« Ce Rabbit est non seulement bien daté, mais il s’agit sans doute de la dernière œuvre artistiquement importante produite par Koons, qui exploite au maximum les potentialités de son système : tendre aux ultra-riches un miroir rassurant et enjoliveur de leur supposé mauvais goût, ajoute le galeriste. Cette mise en vente prend donc l’allure d’un va-tout destiné à réassurer un réseau de spéculateurs. A ce niveau de prix, de toute façon, ce ne sont pas les historiens d’art ni même les collectionneurs qui arbitrent, mais les banquiers. »
Sauf qu’il n’est jamais mauvais d’appeler les historiens d’art à la rescousse. Christie’s rapporte ainsi que l’ancien conservateur du MoMA, Kirk Varnedoe, avait confié au magazine Vanity Fair avoir été littéralement « renversé » par ce Rabbit. Son site donne aussi les détails d’une conversation entre Koons et David Sylvester, un critique d’art britannique qui fut incidemment l’un des plus éminents spécialistes… de Francis Bacon.
La Tête d’homme hurlant de Francis Bacon vendue par Sotheby’s avait été achetée par le critique d’art et collectionneur Bernard H. Friedman en 1952. Il en existe six variantes, dont une de plus grande taille, vendue pour 30 millions de dollars (27 millions d’euros) chez Sotheby’s en 2012.
Francis Bacon a beau ne pas figurer dans les collections de ceux qui font la loi sur le marché, en dix ans, ses prix ont doublé jusqu’au record de 142,4 millions de dollars (128 millions d’euros) pour un triptyque chez Christie’s en 2013. « Bacon est une pierre cardinale du marché de l’art, affirme Grégoire Billault, spécialiste chez Sotheby’s. Son marché est mondial, de l’Amérique latine à l’Asie en passant par l’Europe. Tout le monde peut vouloir un Bacon. »
Détail intéressant, ni le Koons ni le Bacon ne sont garantis, pratique consistant à assurer au vendeur une somme minimale quelle que soit l’issue de la vente. C’est dire si Christie’s et Sotheby’s ont pleinement confiance dans leur totem.
Ventes Christie’s le 15 mai, et Sotheby’s le 16 mai.