Pavillon du Ghana, 58e Biennale de Venise, œuvre d’El-Anatsui. / David Levene

Présents pour la première fois, le Ghana et Madagascar n’ont pas décroché le Lion d’or pour la meilleure participation nationale, finalement remis le 11 mai à la Lituanie. Mais ces deux pays africains éclipsent par leur énergie bien des nations fatiguées et habituées de la Biennale d’art contemporain de Venise.

Pour son baptême vénitien, le Ghana a frappé fort, en mêlant ténors locaux comme Ibrahim Mahama et vedettes de la diaspora, tel le septuagénaire El-Anatsui et ses chatoyantes tentures métalliques, dans une mise en scène signée par le célèbre architecte anglo-ghanéen David Adjaye. Pensée au poil près, la sélection respecte la parité – trois femmes et trois hommes – et le dialogue intergénérationnel. La plus âgée, la photographe Felicia Abban a 83 ans et les plus jeunes, Lynette Yiadom-Boakye et Ibrahim Mahama, 32. Et si chaque artiste a mis le paquet, le cinéaste John Akomfrah sort du lot avec un nouveau film à l’ambition prométhéenne, récit mythologique et écologique de quatre-vingt-dix minutes projeté sur trois écrans et servi par de splendides images.

Madagascar, incarnée par l’artiste Joël Andrianomearisoa, a aussi réussi son entrée dans la cour des grands avec son Labyrinthe des passions, installation composée de 50 000 papiers de riz noir froissé que le visiteur est invité à pénétrer comme une plongée dans l’opacité de l’inconscient.

« Soudain tout est possible »

L’Afrique n’avait pas fait autant parler d’elle à Venise depuis 2015. Cette année-là, le regretté commissaire américano-nigérian Okwui Enwezor avait invité seize créateurs africains au sein de l’exposition internationale organisée en parallèle des pavillons nationaux. Ils ne sont plus qu’au nombre de sept cette année dans l’accrochage conçu par le curateur américain Ralph Rugoff, qui a convié notamment la Nigériane Otobong Nkanga, primée d’une mention spéciale par le jury de la Biennale.

Pavillon de Madagascar, 58e Biennale de Venise, œuvre de Joël Andrianomearisoa. / Maxime Dufour

Par petites touches ou de manière affirmée, le continent fait désormais partie du décor, avec huit pays battant pavillon. Certains, comme le Zimbabwe, présent depuis cinq éditions, ou l’Afrique du Sud qui a loué pour vingt ans un espace à l’Arsenal. D’autres apparaissent par éclipses, à l’instar de la Côte d’Ivoire, présente déjà en 2013 et 2017. « On veut démystifier l’Afrique et montrer aux yeux du monde que nos artistes sont aussi bons que les autres », confie Raphael Chikukwa, commissaire du pavillon du Zimbabwe. Les artistes le savent, la Biennale de Venise sert d’accélérateur dans une carrière. « Soudain tout est possible, sourit Eric Dereumaux, directeur de la galerie RX qui représente Joël Andrianomearisoa. Les grands conservateurs et collectionneurs sont là et ils peuvent changer la vie d’un artiste en un regard ! »

De fait, tous les pays se saignent pour financer des participations dont le coût varie entre 200 000 et 2 millions d’euros. Ils ne jouent donc pas à armes égales. Le Ghana, qui, grâce aux hydrocarbures, affiche un taux de croissance de plus de 6 % en 2018 a pu voir grand. Et son objectif est clairement affiché : doper le tourisme. Aussi la dotation publique pour le tourisme et la culture a-t-elle grimpé de 120 % entre 2014 et 2018. La situation est tout autre au Zimbabwe, dont l’économie est en berne et le peuple sous tension. L’Etat n’en pas moins mit 400 000 dollars sur la table pour financer le pavillon.

Pavillon du Ghana, 58e Biennale de Venise, œuvre de Lynette Yiadom-Boakye. / David Levene

« C’est une façon de montrer qu’on va s’en sortir, que même si l’art est le cadet des soucis aujourd’hui, on est là et bien là », observe Georgina Maxim, l’une des quatre artistes du pavillon. Malgré les coûts, le commissaire Raphael Chikukwa n’a pas voulu mégoter en faisant appel à des bénévoles italiens pour garder le pavillon. « Je tiens à ce qu’il y ait des représentants du Zimbabwe pour raconter notre histoire, précise-t-il. On ne veut pas de porte-parole, car on est capable de tenir nous-mêmes le micro. »

La présence de Madagascar, où 76 % de la population vit dans une pauvreté extrême, est aussi une gageure. « Il était important que Madagascar ait son pavillon à la plus grande manifestation d’art contemporain du monde, loin de l’image misérable que l’on continue de véhiculer de mon pays », explique Joël Andrianomearisoa, qui a porté ce projet à bout de bras. Pas question pour lui de réclamer de subventions publiques « vu les besoins criants de santé ou d’éducation ». Aussi est-ce dans son cercle immédiat que Joël Andrianomearisoa a cherché les 500 000 euros nécessaires à son installation. Le collectionneur français Thibaut Poutrel, que l’artiste avait rencontré voilà quatre ans, a ainsi soutenu le projet « par amitié ». A sa contribution s’ajoutent les apports du fonds Rubis Mécénat, du groupe Filatex et des trois galeries de l’artiste.

« Point de départ »

Le Ghana et Madagascar ont eu la chance de prendre pied sur le port l’Arsenal, où se trouve aussi l’Afrique du Sud, qui bénéficie d’un bail de vingt ans. Pour les autres, dénicher un espace a tout du parcours du combattant. Habituellement excentrée en ville, la Côte d’Ivoire s’est rapprochée du cœur du réacteur en louant une galerie face aux yachts luxueux qui mouillent l’ancre près de l’Arsenal. Ernest Düku, l’un des quatre artistes qui y exposent, veut y voir « une volonté politique de faire avancer la culture dans notre pays ».

Tous, en effet, espèrent transformer l’essai à domicile. « Il faut que notre pavillon soit le point de départ pour un futur musée au Ghana, martèle Ibrahim Mahama. On a besoin d’institutions qui donnent une conscience aux plus jeunes générations. »

Pavillon du Ghana, 58e Biennale de Venise, œuvre de John Akomfrah. / David Levene

Rien n’est acquis et le plus ardu est de durer. L’Angola, qui avait remporté le Lion d’or du meilleur pavillon en 2013 a disparu de la carte vénitienne, tout comme la Tunisie et le Nigeria, qui avaient participé une seule et unique fois en 2017. Joël Andrianomearisoa le dit sans détours : « Madagascar vit un moment historique, mais le tout est de savoir si c’est une première ou une dernière. »

Biennale de Venise, jusqu’au 24 novembre, Venise, www.labiennale.org