Roland-Garros, taille Grand Chelem
Roland-Garros, taille Grand Chelem
Par Clément Martel
Le tournoi parisien a opéré de grandes transformations de ses infrastructures. Suffisant pour maintenir sa place au sommet du tennis mondial ?
Vue du court Philippe Chatrier, le 10 mai. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
L’odeur de goudron frais flotte dans l’air. Des camions font un ballet incessant. Des ouvriers percent, recouvrent des câbles… En cette semaine précédant l’ouverture officielle de l’édition 2019 du tournoi, dimanche 26 mai, le « Roland-Garros nouveau » finit tout juste de s’apprêter. Livré avec un peu de retard – trois semaines –, après des années d’attente et des feuilletons judiciaires incessants.
« Il y a encore de tout petits ajustements, et nos équipes sont en train d’habiller le court Philippe-Chatrier [le court central du stade] pour le rendre totalement prêt à accueillir le tournoi », énonce, mardi 21 mai, Jean-François Vilotte, directeur général de la Fédération française de tennis (FFT).
De la « cosmétique », après d’énormes travaux. Car du court Philippe-Chatrier d’origine, par exemple, il ne reste rien. « Juste après la dernière balle de la finale de Nadal contre Thiem, en 2018, on a détruit et reconstruit tout ça », rappelle Gilles Jourdan, qui dirige le projet de modernisation du site.
« La sueur de René Lacoste est encore là »
L’enceinte érigée entre 1927 et 1928 pour accueillir la finale de Coupe Davis, conquise par les Mousquetaires un an auparavant aux Etats-Unis, a été détruite. Seul un rectangle ocre, au centre, a survécu. Protégé par une chape de béton durant les travaux, le court du central a éclos quelques jours avant l’ouverture du tournoi dans son nouveau cocon. Inchangé. « La sueur de René Lacoste est encore là, en dessous », dit Gilles Jourdan.
Celle de Rafael Nadal aussi. Onze fois vainqueur porte d’Auteuil, il a longuement pris le temps d’apprivoiser les modifications apportées à « son » jardin qu’est le Chatrier. « A part la couleur des sièges, il n’y a aucun changement significatif, a souligné le Majorquin, récent vainqueur du tournoi de Rome. Au niveau du jeu, je n’ai ressenti aucune différence. Le vent entre de la même façon, et les sensations sur le court sont exactement les mêmes. »
Une situation qui devrait « changer radicalement » une fois le toit escamotable posé (en 2020) sur le Central, précise Nadal, « comme ça a été le cas dans d’autres tournois du Grand Chelem. » Cette année, le court est tout de même plus grand, car il a gagné un mètre de large du côté de la chaise de l’arbitre, le central lui-même ayant gagné en hauteur (26 mètres, contre 18) et en largeur (105 mètres, contre 85), sans augmenter sa capacité : 15 000 spectateurs, désormais assis sur des sièges en bois clair, et moins serrés.
Tout est plus grand
Plus grand, tout Roland-Garros l’est. La surface du site est passée de 8,5 à 12,5 hectares, avec, outre le court Simonne-Mathieu, écrin semi-enterré de 5 000 places, six nouveaux courts inaugurés au Fonds des Princes, à l’ouest de l’enceinte. Même sans prendre part à la course au gigantisme engagée par les autres tournois du Grand Chelem (Wimbledon, l’US Open et l’Open d’Australie sont installés sur des terrains allant de 18 à 20 hectares), les organisateurs de Roland-Garros savaient qu’il leur fallait pousser les murs.
Il s’agissait d’une « condition essentielle à la pérennité du tournoi », selon Gilbert Ysern, ancien patron du tournoi et ex-directeur général de la FFT, qui a porté le projet. Si la question de la perte du statut de Grand Chelem, au profit de tournois plus spacieux (Madrid, Cincinnati ou Shanghaï ont été cités), relève davantage de l’épouvantail que de l’épée de Damoclès, un « risque d’affaiblissement progressif » de Roland-Garros n’était pas à exclure.
Si les joueurs ne trouvent plus les conditions d’un Grand Chelem dans un tournoi, ils peuvent en venir à le délaisser. C’est ce qui s’est produit pour l’Open d’Australie dans les années 1970 et 1980, rappelle Gilbert Ysern : parent pauvre des Grand Chelems, snobé par les meilleurs joueurs, « le tournoi n’était plus un Majeur que sur le papier ». Avant de réussir sa mue, au prix – notamment – d’un déménagement.
Pour Roland-Garros, cette option d’une délocalisation hors de Paris a été sérieusement envisagée. Avant que le choix ne soit fait d’étendre le site vers l’est, avec la construction d’un nouveau court du côté des Serres d’Auteuil. Un choix complexe car « un triangle [forme qu’a le site] n’a que trois côtés et, comme d’un côté, il y avait les immeubles, et des autres, le bois de Boulogne et le jardin des serres d’Auteuil, on n’était vraiment pas sûrs de pouvoir répondre à l’impérieux besoin de moderniser et d’agrandir quelque peu le stade », relève Gibert Ysern.
Stratégie de « premiumisation »
S’ensuivront des années de bataille avec des riverains et des associations de défense de l’environnement. Celles-ci s’achèveront en mai 2018. Un an auparavant, les travaux ont commencé, et « le nouveau Roland-Garros n’est plus un projet, c’est un chantier », se félicite alors Bernard Giudicelli, le président de la FFT.
A défaut de pouvoir s’aligner sur la logique expansionniste des autres Majeurs, l’accent a été mis sur la qualité. « Dans ce petit endroit, il faut être à la pointe et en faire un écrin de luxe, constate Loïc Courteau, qui entraîne Lucas Pouille avec Amélie Mauresmo. Le tournoi est aux portes de Paris, donc il ne sera jamais aussi grand que les autres, mais il va falloir être innovant. »
Le court Philippe-Chatrier se veut ainsi « le plus bel écrin tennistique du monde, dans un lieu exceptionnel, monument parisien témoin de l’évolution de la vie de la capitale », vante Jean-François Vilotte.
Une stratégie de « premiumisation » de l’enceinte de la porte d’Auteuil – financée sans un denier public et sans augmenter les prix des places – a été endossée par la FFT. Elle passe notamment par la mise en place du toit escamotable en 2020, avant d’accueillir des sessions nocturnes en 2021. L’arène mythique qu’est le court numéro 1 disparaîtra au lendemain de la finale sous les coups des pelleteuses pour laisser place à une esplanade permettant un meilleur accueil du public.
En attendant, même si « quelques pétouilles » post-travaux pourraient quelque peu ternir l’édition 2019, selon Gilles Jourdan, les organisateurs jugent leur « nouvel écrin » prêt à accueillir joueurs et fans.