Au procès Balkany, place aux accusations de corruption
Au procès Balkany, place aux accusations de corruption
Par Henri Seckel
Le tribunal se penche à partir de mercredi sur les conditions d’acquisition fort complexes d’une villa à Marrakech, en 2010. Renvoi d’ascenseur d’un promoteur immobilier au maire de Levallois, soupçonne la justice.
Isabelle et Patrick Balkany, le 15 avril 2019. / STÉPHANE DE SAKUTIN / AFP
Au premier jour du procès, Me Pierre-Olivier Sur évoquait « une fusée à trois étages » au sujet des faits reprochés à sa cliente, Isabelle Balkany, et à son époux, Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
Premier étage : des fonds non déclarés détenus en Suisse à la fin des années 1980 et au début des années 1990 – un délit de fraude fiscale aujourd’hui prescrit. Deuxième étage : le blanchiment de cette fraude fiscale par le biais, entre autres, de l’achat de biens immobiliers dont le couple a continué à avoir la jouissance jusqu’à une période non prescrite (le moulin de Giverny dans l’Eure, la villa Pamplemousse aux Antilles, par exemple). Pour cela, tous deux encourent dix ans de prison. Troisième étage : la fraude fiscale concernant ces avoirs, que le couple n’a jamais déclarés au fisc, esquivant ainsi l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – pour cette fraude fiscale, quatre et deux ans ferme ont déjà été requis contre Patrick et Isabelle Balkany.
Patrick Balkany a reconnu ces faits de fraude fiscale et de blanchiment, qu’il a assortis de circonstances atténuantes, plaidant « coupable, mais… ». « Coupable » d’avoir eu de l’argent non déclaré, en France et en Suisse, « mais » il s’agissait de l’héritage paternel, et non de fonds destinés au financement occulte du RPR et détournés à des fins personnelles, comme l’avait soutenu Didier Schuller. « Coupable » d’avoir été l’ayant droit d’une kyrielle de discrètes structures offshore abritant ses avoirs, « mais » c’est son gestionnaire de fortune, en Suisse, qui s’occupait de ces montages complexes sans rien lui en dire.
« Coupable » de n’avoir pas déclaré les biens acquis avec l’argent non déclaré, ni rapatrié la totalité de son argent suisse en France, « mais » le statut de personnes publiques des deux époux les empêchait de régulariser leur situation, sauf à risquer de voir l’information dévoilée et leurs carrières politiques démolies : « Oh, si j’avais pas été un élu, je l’aurais fait depuis longtemps », a juré Patrick Balkany.
Les peignoirs siglés « PB » dans la villa de Marrakech
A partir de mercredi 29 mai, la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris s’intéresse au quatrième étage de la fusée, qui concerne Patrick Balkany, mais pas sa femme : les faits de corruption ayant permis l’acquisition, en 2010, d’une somptueuse villa à Marakkech (Maroc), jamais déclarée au fisc. Quatre jours d’audience ne seront pas de trop pour étudier les rouages d’un mécanisme particulièrement complexe.
Selon les enquêteurs, les propriétaires de la villa de Marrakech sont bien les Balkany. En témoignent les auditions des agents immobiliers qui la leur ont fait visiter, de l’ancien propriétaire avec qui ils en ont négocié le prix, du majordome qui n’y a jamais vu personne d’autre qu’eux. En témoigne encore une perquisition de 2015 ayant permis de découvrir des caisses de vin annotées « Balkany », des livres dédicacés « à Isabelle et Patrick Balkany », du linge et des peignoirs « portant les initiales PB ». En témoigne enfin le nom de la société détenant la villa : Dar Gyucy, contraction de Gyula et Lucie, prénoms des deux premiers petits-enfants du couple.
Deux bras droits de Patrick Balkany au cœur du montage
Un montage aurait été mis en place, permettant aux époux Balkany de n’apparaître dans aucun document lié à cette luxueuse villa. Et c’est là que les choses deviennent un peu techniques.
Toujours selon les enquêteurs, la société Dar Gyucy, sise au Maroc, appartient à la société Haydridge, basée au Panama. La société Haydrige est financée par la société Himola, également basée au Panama. Ce montage a été réalisé par la fiduciaire genevoise Gestrust, sur ordre de deux proches de Patrick Balkany : Jean-Pierre Aubry et l’avocat Me Arnaud Claude (qui partage son cabinet avec Me Nicolas Sarkozy, son associé).
La société Himola possède un compte bancaire à Singapour, dont l’ayant droit économique est Jean-Pierre Aubry. Ce compte bancaire, sur lequel un homme d’affaires belge faisant des affaires en Afrique aurait versé 5 millions de dollars en échange d’un coup de pouce de Patrick Balkany pour l’obtention d’un contrat en Namibie, a permis de payer la moitié de la maison au propriétaire, en dessous-de-table (2,5 millions d’euros).
L’autre moitié (2,75 millions d’euros) a été payée chez un notaire par Mohamed Al-Jaber. Ce magnat saoudien de l’immobilier venait de se voir attribuer un gigantesque marché – près de 1 milliard d’euros – sur les bords de Seine par la Semarelp, société chargée de l’aménagement de Levallois, dont le président était alors Patrick Balkany, et le directeur général, Jean-Michel Aubry. Tous deux auraient par ailleurs reçu des faveurs de la part de M. Al-Jaber (une montre d’une valeur de 15 000 euros, des voyages en jet privé), lequel aurait quant à lui bénéficié d’avantageux délais de paiement pour son projet immobilier (qui n’a finalement jamais vu le jour, pour cause de crise des subprimes).
Des confrontations à l’audience très attendues
En première semaine du procès, Patrick Balkany a nié être le propriétaire de la villa de Marrakech : « Je vous expliquerai tout plus tard, mais le propriétaire, je vais vous le dire : c’est Al-Jaber. » Pendant l’instruction, Mohamed Al-Jaber, par ailleurs directement mis en cause par Me Claude, a dit n’avoir jamais été informé des paiements concernant la villa, qu’il a mis sur le dos d’un de ses employés, M. Khoury, lequel s’est défendu : « Je n’avais aucun pouvoir de contrôle sur les comptes en banque. Je n’ai jamais pu faire un paiement sans l’accord de M. Al-Jaber. »
Par ailleurs, le directeur de la fiduciaire genevoise Gestrust, Marc Angst, a fini par comprendre que Jean-Pierre Aubry n’était pas le véritable propriétaire de la villa de Marrakech. Ce dernier le lui aurait lui-même avoué en ces termes lors d’un rendez-vous, que Marc Angst a rapporté aux enquêteurs : « Il m’a dit : “Vous savez, Marc, que je porte pour mon ami M. Balkany ?” Je réponds, surpris, un grand “non”. J’ai répondu que j’étais déçu que l’on m’ait trompé. M. Aubry me dit : “J’ai fait une erreur d’avoir aidé mon ami Balkany, mais je lui dois beaucoup et je vais le défendre jusqu’au bout en disant que c’est moi le propriétaire.” »
MM. Balkany, Aubry, Claude et Al-Jaber seront tous les quatre présents à l’audience, pour corruption et complicité de corruption. Tous risquent jusqu’à dix ans de prison. Ils seront rejoints, mercredi 5 juin, par M. Angst, cité comme simple témoin. Les confrontations entre les uns et les autres sont particulièrement attendues. Le calendrier de l’audience – qui sera suspendue jeudi et vendredi – s’étale jusqu’au 20 juin.