Etudiants et personnel du secteur de l’éducation manifestaient contre les coupes budgétaires voulues par le gouvernement – rejoints par les opposants à la réforme des retraites –, jeudi 30 mai, à Brasilia et dans plus de deux cents villes du pays. / EVARISTO SA / AFP

Chaque jeudi à 19 heures, Jair Bolsonaro réalise un Facebook Live d’une vingtaine de minutes pour informer la population sur sa politique et les événements importants du pays. Le président brésilien a toujours des invités à ses côtés. Jeudi 30 mai, le ministre de la santé est venu annoncer une campagne de vaccination contre la grippe. Puis le président a parlé « de la confiance des investisseurs dans le Brésil » et, pendant plus de dix minutes, il a exprimé ses doutes au sujet d’apposer ou non son veto à la gratuité des bagages dans les soutes des avions. Comme souvent, quelques blagues machistes ont fusé. Cette fois, c’était sur « les femmes et leurs 40 kilos de bagages ». Mais pas un mot sur l’éducation.

Pourtant, au même moment, et dans plus de deux cents villes du pays, se déroulaient des manifestations contre les coupes budgétaires de 1,16 milliard d’euros annoncées dans l’enseignement supérieur. Deux semaines auparavant, le 15 mai, lors de la première mobilisation universitaire, qui avait réuni encore plus de monde, Jair Bolsonaro, alors au Texas, avait qualifié les étudiants dans la rue « d’idiots utiles ». Cette fois, il a préféré le silence à l’insulte, les bagages en soute aux questions budgétaires, ce qui traduit tout autant un profond malaise sur la question.

« C’est plutôt lui, l’idiot inutile, en ce moment, considère Sebastião, un étudiant en anthropologie, à Rio, sorti manifester. Il ne sait pas comment faire face à notre mouvement, qui est d’une ampleur inédite. »

Un dossier délicat pour le président

Le président n’ignore plus que sa chute de popularité, de 15 points entre janvier et avril, dans les enquêtes d’opinion est intimement liée à ce dossier. En prévision de cette deuxième journée de mobilisation pour l’éducation, Jair Bolsonaro avait appelé ses partisans à manifester dimanche 26 mai pour exprimer leur soutien à sa politique. Sa base électorale a bien répondu présent dans 126 villes du pays, mais bien peu, finalement, s’en sont pris, dans leurs slogans et sur leurs pancartes, aux mobilisations des étudiants. Seule une banderole a été arrachée devant l’université de Curitiba par les plus exaltés de ses supporteurs.

« Tous les jeunes Brésiliens rêvent d’entrer à l’université publique, même ceux qui sont dans l’enseignement secondaire privé. Amputer le budget des universités est une grossière erreur pour un politique, car cela concerne vraiment beaucoup de monde », estime Agata Simões, une jeune chercheuse en économie qui manifestait, jeudi, à Rio de Janeiro.

Depuis 2013, les Brésiliens se sont fortement mobilisés à plusieurs reprises pour obtenir plus d’investissements dans la santé et l’éducation, notamment contre les dépenses allouées à l’organisation des grands évènements sportifs, comme le Mondial de football, en 2014. Lors de la campagne présidentielle, tous les candidats se retrouvaient sur cette question : la gauche voulait améliorer l’enseignement primaire, la droite la petite enfance et Jair Bolsonaro promettait aussi d’y consacrer des efforts, même s’il insistait plus sur la question idéologique que budgétaire.

La manifestation de soutien à la défense de l’éducation publique a continué jusqu’au soir, à Sao Paulo, le 30 mai, à la suite d’une série de compressions budgétaires annoncées par le gouvernement du président Jair Bolsonaro. / MIGUEL SCHINCARIOL / AFP

C’est d’ailleurs pour contrer une supposée « infiltration marxiste » que le ministre de l’éducation, Abraham Weintraub, avait annoncé, le 26 avril, de premières sanctions budgétaires contre trois universités fédérales (Brasilia, Rio de Janeiro et Bahia). Quatre jours plus tard, sans explication, la mesure a été étendue à l’ensemble de l’enseignement supérieur ; « une amputation annoncée de 30 % sans aucune justification technique, alors que le fonctionnement général et l’entretien des bâtiments sont déjà très précaires », explique le professeur Celso Sanchez, responsable d’un centre d’études en éducation environnementale à l’université de Rio. « Surtout, le gouvernement impose à présent que chaque recteur aille à Brasilia défendre son budget. Notre crainte est que la décision du ministre soit prise sur des critères idéologiques et non techniques, comme si l’université était un seul bloc pensant une seule et même chose », ajoute le professeur, venu manifester pour la seconde fois jeudi.

« Notre ministre ne connaît rien à l’université »

La disparition de l’enseignement des sciences humaines (philosophie et sociologie), voulue également par le ministre de l’éducation, n’est finalement plus à l’ordre du jour. « Il s’est rendu compte qu’il y avait de la sociologie dans les cursus d’économie, de politique ou encore de géographie. Notre ministre ne connaît rien à l’université, et c’est bien le problème », considère Raul Fonseca, professeur de sociologie à l’université rurale de Rio de Janeiro, et qui portait une pancarte « pour la défense d’une éducation critique » jeudi à Rio.

A la suite des mobilisations de la mi-mai, le ministre avait banni de son langage le terme de « coupes » pour préférer celui de « gel budgétaire ». Les universités retrouveraient leurs budgets officiellement amputés de 1,1 milliard d’euros « dès que la réforme des retraites proposée par le gouvernement serait approuvée par le Congrès ». Une déclaration qui avait fait bondir les opposants à la réforme des retraites, qui se retrouveront avec le monde universitaire le 14 juin pour une nouvelle mobilisation contre le gouvernement.

En attendant, la préoccupation grandit chez les responsables des universités. A l’image du recteur de l’université fédérale du Parana, Ricardo Marcelo Fonseca, qui a encore répété jeudi soir à la presse : « Notre budget ne nous permet pas de fonctionner au-delà du mois d’août et je ne suis pas sûr que la réforme des retraites aura beaucoup avancé à cette date. »