Avec la hausse des frais universitaires, les étudiants africains moins attirés par la France
Avec la hausse des frais universitaires, les étudiants africains moins attirés par la France
Par Amaëlle Brignoli
Pour la rentrée 2019, la baisse des candidatures issues du continent serait de l’ordre de 30 % à 50 %, selon la Conférence des présidents d’université.
Des étudiants de l’université Cheikh-Anta-Diop, à Dakar, au Sénégal, en avril 2013. / Joe Penney / REUTERS
Cette année, les étudiants africains sont bien moins nombreux à candidater dans des universités françaises. A quelques jours de la fin du dépôt des dossiers, c’est maintenant sûr. Le président du comité de communication de la Conférence des présidents d’université (CPU), François Germinet, estime la baisse générale des demandes d’étudiants africains « de l’ordre de 30 % à 50 % ». « C’est ce qui ressort des remontées de terrain de la part des présidents d’université à l’échelle nationale », pointe-t-il. A l’université de Cergy-Pontoise, qu’il préside, il enregistre une diminution d’environ 30 % des candidatures africaines.
L’explication est simple. Dès la rentrée 2019, un étudiant non originaire de l’Union européenne (UE) devra payer 2 770 euros pour une année de licence à l’université, au lieu de 270 euros jusqu’à présent. Pour un master, il devra débourser 3 770 euros, contre 243 euros auparavant. Soit des frais plus de dix fois supérieurs à ceux consentis par un Européen…
Derrière ce changement, il y a la réforme annoncée le 19 novembre 2018 par le premier ministre, Edouard Philippe. Cette « stratégie d’attractivité », baptisée « Bienvenue en France », vise à porter de 343 000 à 500 000 le nombre d’étudiants étrangers à l’horizon 2027. Pour cela, le gouvernement compte simplifier la politique des visas, mais aussi augmenter significativement les droits d’inscription universitaires pour les étudiants extra-européens tout en triplant les bourses, au motif que cela introduira davantage d’équité.
Les Africains représentent 46 % des étudiants étrangers
Le premier effet ne va pas dans le sens attendu. A l’université Bordeaux-Montaigne, où les Africains représentaient jusque-là 54 % des étudiants non européens, « nous avons constaté une diminution très nette des candidatures », se désole sa présidente, Hélène Velasco-Graciet : « C’est pourtant une tradition bordelaise d’accueillir ces jeunes venus notamment des pays francophones. »
Même observation à Paris-Nanterre, où un étudiant international sur trois est originaire du continent. Là encore, la baisse des candidatures est qualifiée de « très notable » par la vice-présidente des relations internationales, Sonia Lehman-Frisch. En 2018, ils étaient 11 630 à avoir candidaté ; cette année, ils sont 7 695, soit une baisse de 44 %. Les Algériens, nationalité la mieux représentée, ne sont que 2 523 à avoir postulé pour la rentrée, contre 3 638 l’année précédente.
Les établissements savaient que ce public moins fortuné serait largement touché. Or selon l’organisme public Campus France, les étudiants africains représentent 46 % des 343 000 étudiants étrangers inscrits à ce jour dans l’enseignement supérieur français. La France est l’un des pays qui accueillent le plus de jeunes originaires du continent, et notamment d’Afrique du Nord, puisqu’un quart des étudiants étrangers inscrits en France viennent du Maroc (12 %), de l’Algérie (9 %) et de la Tunisie (4 %).
Pour essayer de contrer les effets de la mesure, les établissements ont cherché des solutions. La moitié des universités, les Instituts nationaux des sciences appliquées (INSA) et d’autres établissements d’enseignement supérieur ont annoncé qu’ils n’appliqueront pas cette hausse à la rentrée 2019. L’université Paris-Nanterre est dans ce groupe : elle n’augmentera pas les droits d’inscription jusqu’à la fin des études des néo-entrants. Comme les autres établissements, elle utilisera un décret de 2013 qui permet d’exonérer totalement ou partiellement jusqu’à 10 % des étudiants (hors boursiers).
« Une menace pour la richesse culturelle et scientifique »
« Cette mesure gouvernementale fait peser une menace sur la richesse culturelle et scientifique que les étudiants africains représentent pour notre université », explique Sonia Lehman-Frisch.
Le directeur pédagogique du groupe INSA, Claude Maranges, évoque quant à lui un problème de timing : « C’était trop tard pour mettre en place cette politique efficacement. On exonérera partiellement les étudiants extra-européens pour 2019, puis on mettra en place un système de bourses pour aider ceux qui en ont besoin à partir de l’année suivante. » Lui aussi s’inquiète pour les étudiants africains, qui constituent une part très importante des étudiants étrangers au sein de ces écoles d’ingénieurs : « C’est pour cette population-là qu’on a peur, surtout pour celle du Maghreb. »
La baisse des demandes d’inscription pour 2019 justifie déjà les craintes que le monde universitaire avait formulées dès l’annonce du plan gouvernemental. D’emblée, Hélène Velasco-Graciet avait estimé que cette discrimination par l’argent « reniait la tradition humaniste des universités ». Pour elle, « il n’y a pas de différence à faire entre les étudiants en fonction de leurs origines géographiques, sociales ou culturelles ». Un point de vue partagé par Sonia Lehman-Frisch, pour qui « cette mesure s’oppose à notre intime conviction que l’université est ouverte à tous et est contre la sélection par l’argent ».
Pour François Germinet aussi, l’enseignement supérieur français devrait être plus largement ouvert aux étudiants africains. Depuis son observatoire qu’est la CPU, il ajoute que « le système bloque énormément d’étudiants africains, puisqu’on ne sélectionne que 1 % des candidats ». Ce qui lui fait dire que le combat doit aussi porter sur l’aide aux universités africaines dans l’ouverture de formations supplémentaires.