Vendredi 7 juin 2019, dans les rues d’Alger. / Ramzi Boudina / REUTERS

Le mouvement de contestation en Algérie se mobilise pour un seizième vendredi consécutif, le premier depuis l’annulation de la présidentielle qu’il rejetait en bloc, mais le pouvoir a réaffirmé sa volonté d’un scrutin à très court terme. Ce vendredi 7 juin, en fin de matinée, la police quadrillait totalement le centre d’Alger où plusieurs centaines de personnes sont déjà rassemblées, en chantant « Y en a marre de ce pouvoir ». Ils ont crié aussi « Dégage ! » au président par intérim Abdelkader Bensalah et au chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, devenu de facto l’homme fort du pays depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, sous la pression de la rue.

Après le départ de l’impopulaire premier ministre Ahmed Ouyahia, l’abandon d’un cinquième mandat par M. Bouteflika puis sa démission après vingt ans au pouvoir, les manifestants qui défilent chaque vendredi depuis le 22 février ont à nouveau obtenu gain de cause, le 2 juin : le Conseil constitutionnel a constaté « l’impossibilité » de tenir le scrutin du 4 juillet, faute de candidats sérieux.

Nouvelle victoire de la contestation ? « Oui et non », répond à l’AFP Dalia Ghanem Yazbeck, chercheuse au Carnegie Middle East Center basé à Beyrouth. « Oui dans le sens où [l’élection] n’aura pas lieu, c’est ce que la rue voulait. Et non dans le sens où c’est un non-événement car elle était, [d’un point de vue] logistique, impossible à organiser », explique-t-elle. D’autant que jeudi, M. Bensalah a maintenu le cap sans faire aucune concession à la contestation qui exige, avant tout scrutin, le départ du pouvoir des anciens fidèles de M. Bouteflika – dont M. Bensalah – et des réformes politiques. M. Bensalah a insisté pour une élection « dans les meilleurs délais ».

« Les autorités sont dans l’improvisation »

Face à la contestation, le scrutin du 4 juillet n’a attiré aucun candidat sérieux. « Personne ne veut se présenter et participer à cette mascarade. Le pouvoir semble manquer de figure consensuelle » pour le représenter. « Cela est évident aujourd’hui », note Dalia Ghanem Yazbeck.

M. Bensalah, à qui la Constitution a confié l’intérim pour 90 jours, n’aura personne à qui transmettre le pouvoir à l’issue de ce délai et sortira donc du « cadre constitutionnel » dont le haut commandement de l’armée refusait jusqu’ici de s’écarter. Le président par intérim a invoqué la situation « exceptionnelle » pour justifier la prolongation de fait de son mandat jusqu’à l’élection d’un nouveau chef de l’Etat, hors de tout cadre légal.

C’est la deuxième fois qu’une élection présidentielle est annulée en moins de trois mois. M. Bouteflika avait annulé celle du 18 avril, tentant lui aussi de prolonger ainsi sine die son mandat en cours. Une manœuvre qui avait démultiplié la colère. Difficile de connaître le prochain pas d’un pouvoir qui semble naviguer à vue depuis le début de la contestation.

« Les autorités sont dans l’improvisation. Il n’y a pas de solutions sur le long terme et, contrairement à ce que les dirigeants ont pensé au début, le mouvement [de contestation] ne s’épuise pas. Les options qui s’offrent désormais au pouvoir ne sont pas illimitées, estime Dalia Ghanem Yazbeck. Les ressources coercitives sont toujours une option pendant les temps de crises politiques, notamment lorsque l’armée ne veut pas perdre son pouvoir. Regardons ce qui s’est passé au Soudan. »

« A ceux qui appellent à négocier avec l’armée, réveillez-vous […]. On ne négocie jamais avec un militaire », écrivait un tweeto algérien au-dessus d’images de la répression soudanaise, répondant à un appel du général Gaïd Salah au dialogue et à des « concessions mutuelles ».