Lundi 17 juin au matin, au lycée Paul-Eluard, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). / Léa Taieb

Au petit matin, devant les grilles du lycée Paul-Eluard, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), des élèves relisent une dernière fois leurs fiches, se réfugient dans leur musique écouteurs sur les oreilles, ou lancent une discussion sans rapport avec le baccalauréat. Il est 7 h 30, ce lundi 17 juin, et dans quelques minutes, ils composeront sur l’épreuve de philosophie, la première de la session 2019, commune à toutes les filières de la voie générale et technologique.

A quelques mètres à peine, une trentaine de professeurs s’agitent discrètement, banderoles en main. Debout sur une marche, à deux ou à trois, ils s’épaulent et soutiennent un drap, sur lequel on peut lire : « Sauvons notre éducation. Ecole en deuil ». Sur un autre de couleur rouge, des poings sont dessinés, à côté de la phrase « Lycée Paul-Eluard Saint-Denis en lutte ».

Pour la première fois depuis 2003, des enseignants opposés aux réformes du lycée et du bac engagées par ce gouvernement ont appelé, au premier jour des épreuves, à une grève de la surveillance du bac. A Paul-Eluard, une partie de l’équipe éducative a choisi de s’associer au mouvement suivi, selon le recensement ministériel divulgué dans la matinée, par un peu plus de 5 % des professeurs du secondaire. De quoi s’assurer une certaine visibilité, sans retarder ni perturber le déroulé de l’épreuve.

« Bac local »

« C’est une décision difficile à prendre, raconte Béatrice, professeure de SVT, qui ne cache pas son émotion. C’est compliqué vis-à-vis de nos élèves », reconnaît la trentenaire qui ne souhaite pas donner son nom. « Nous sommes contre une réforme qui touche de plein fouet les enfants des classes populaires, avance Agnès, professeure de français qui souhaite elle aussi conserver l’anonymat. Après la réforme, le bac aura une origine sociale. Ce n’est pas étonnant si ce sont surtout les professeurs qui enseignent en milieux populaires qui se mobilisent aujourd’hui, nos élèves risquent d’être encore plus discriminés. »

A compter de la session 2021, horizon fixé par le candidat Macron pour réformer l’examen bicentenaire, 40 % de la note globale relèvera du contrôle continu, ce qui fait craindre à une frange du monde enseignant que le « bac national » ne devienne un « bac local ». Autre motif d’inquiétude : l’offre d’enseignement de spécialités que les lycéens auront à choisir, dès la rentrée 2019, en classe de 1re puis de terminale. D’un lycée à un autre, relèvent ces enseignants de Paul-Eluard, elle ne sera pas la même : « Ici, ce sont les mathématiques et les sciences de l’ingénieur qui seront privilégiées, explique Agnès, au détriment des arts et du théâtre », ce que regrette l’enseignante de français.

Béatrice et Agnès ont suivi le mot d’ordre syndical : elles n’ont pas participé à la surveillance de l’écrit de philosophie, alors qu’elles étaient convoquées ce lundi. Bruno Bobkiewicz, le proviseur, avait suivi les consignes rectorales, et anticipé la mobilisation en faisant appel à des renforts. Et avait convoqué une quinzaine de professeurs de lycée en plus, « tous titulaires », précise-t-il.

D’une académie à l’autre, les chefs d’établissement ont su s’organiser en surconvoquant des enseignants pour éviter de manquer de personnel le jour J. L’éducation nationale avait prévu, en moyenne, un tiers de surveillants supplémentaires pour faire face à tout dysfonctionnement lors de cette grève dénoncée comme « incompréhensible » par le ministre Jean-Michel Blanquer, interrogé sur France Inter lundi matin.

« On opte pour une notation bienveillante ? »

Aux alentours de 8 h 30, la majorité des grévistes de Paul-Eluard se dirige vers la bourse du travail de Saint-Denis. Là-bas se tient une assemblée générale : d’autres enseignants venus de plusieurs lycées des alentours – Angela Davis, Jacques-Feyder, Maurice-Utrillo et Suger – s’y retrouvent. Ils sont une soixantaine, au total, à discuter des suites à donner au mouvement. On lève la main, on intervient, on réagit. Faut-il reconduire la grève ? « A quoi bon être en grève aujourd’hui et pas en grève demain ? »

Une information tombe : au lycée Marcelin-Berthelot, à Pantin (Seine-Saint-Denis), l’épreuve a commencé avec trente minutes de retard. La grève perturbe, c’est l’effet voulu. On se félicite. D’autres questions fusent. « Est-ce qu’on opte pour une notation bienveillante ? » propose un enseignant. « Et si on ne corrigeait pas les copies ? », suggère une autre. Une voix s’élève : « C’est une faute professionnelle de ne pas corriger les copies. » Il est aussi question de rétention des notes, mais l’hypothèse est vite évacuée : « Ça n’a pas de sens, si on est en minorité », fait valoir une professeure.

54 personnes sur 58 votent pour la reconduction du mouvement et se donnent rendez-vous, mardi 18 juin, à 10 heures pour une nouvelle assemblée générale. Avant cela, une nouvelle tentative de perturber les épreuves est prévue : mardi, à 8 heures, les lycéens de séries générales plancheront sur l’histoire-géographie. Certains enseignants distribueront des viennoiseries à leurs élèves et aux parents, « un moyen pour leur faire comprendre qu’on se bat pour eux », explique un enseignant de Maurice-Utrillo. D’autres tenteront de convaincre les collègues encore indécis.

« On n’est pas là pour saboter le baccalauréat. J’en ai marre qu’on me dise de me taire au nom du bien-être des élèves, dont tout le monde se fout, sauf nous », se défend Joséphine, professeure d’histoire-géographie à Paul-Eluard qui ne souhaite pas communiquer son nom. D’autres tentatives de blocages ont été recensées, lundi, notamment dans les académies de Montpellier et Marseille, sans que le déroulement des épreuves n’en pâtisse. Les syndicats d’enseignants qui avaient appelé à un rassemblement à Paris, rue du Bac, dans l’après-midi de lundi, ont annoncé qu’ils se mobiliseraient à nouveau le 27 juin, premier jour des épreuves du brevet.