France 2, mardi 18 juin à 21 heures, magazine

« Aucun goût ! » Dans son bureau encombré de dossiers, de la faculté d’agriculture de l’Université hébraïque de Jérusalem, Haim Rabinowitch livre un constat sans appel : la tomate qu’il vient de goûter, face aux caméras de « Cash Investigation », ne flatte pas son palais. Pourtant, la variété qui lui est présentée provient de croisements qu’il a lui-même mis au point. Le professeur israélien est le père des tomates longue durée, qui peuvent rester trois semaines intactes, grâce à d’innombrables et savants croisements permettant de ralentir leur mûrissement. Une découverte qui a révolutionné le marché et n’est sans doute pas étrangère à la perte de saveur de ce fruit emblématique, admet le Pr Rabinowitch.

En mettant en lumière la mainmise d’une poignée d’acteurs sur le marché des semences, l’enquête de « Cash Investigation » permet d’en illustrer les dérives

Pour ce nouveau numéro, le magazine d’investigation s’est intéressé aux multinationales du secteur des semences de fruits, légumes et céréales. Les deux tiers des graines vendues dans le monde le sont par quatre multinationales : l’américaine DowDuPont, l’allemande Bayer-Monsanto, la suisse Syngenta et la française Limagrain. Une concentration maximale pour un marché mondialisé, avec des conséquences sur les modes de production, le goût et la qualité nutritionnelle des produits.

La journaliste Linda Bendali, qui signe l’enquête, s’est notamment rendue dans le désert du Néguev, où le semencier israélien Hazera Seeds met au point des variétés hybrides. Un responsable, qui fait visiter ses serres, montre une tomate destinée au marché turc, manifestement fade, et explique : « Toutes les tomates n’ont pas besoin d’avoir du goût. En rajoutant du sel et de l’huile d’olive, vous n’en avez pas besoin. »

Laboratoire effectuant des recherches sur des plants de tomates hors-sol. / PREMIÈRES LIGNES TÉLÉVISION

La privatisation du vivant

La séquence la plus marquante du magazine nous emmène en Inde, dans l’Etat du Karnataka, spécialisé dans la production de graines. Là, des femmes principalement, mais aussi des enfants, travaillent dans des champs huit heures par jour, pliés en deux, pour retirer à la pince à épiler le pollen des fleurs et ainsi produire les graines. Un travail éreintant, sous-payé 2,50 euros par jour, moins que le salaire minimum légal.

Une ONG néerlandaise estimait, en 2010, que 16 % des travailleurs du secteur avaient moins de 14 ans. Les sous-traitants eux-mêmes reçoivent à peine plus de 100 euros pour un kilo de graines, vendu in fine à prix d’or par les semenciers : 60 000 euros pour des variétés de tomates hybrides conventionnelles.

Interrogées sur ces conditions de travail, les multinationales manient la langue de bois : « Il y a une tolérance zéro sur le travail des enfants, assure le responsable international de Limagrain à Elise Lucet. Est-ce qu’on peut avoir une certitude, dans un territoire comme l’Inde ? Probablement non, mais notre détermination est sans faille. »

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En mettant en lumière la mainmise d’une poignée d’acteurs sur le marché des semences, l’enquête de « Cash Investigation » permet d’en illustrer les dérives. Au final, c’est la privatisation du vivant qui est en cause, car les variétés hybrides mises au point par les semenciers sont à usage unique : les agriculteurs doivent racheter les graines chaque année, quand la nature les fournit, elle, de façon infinie.

« Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu se faire spolier ce droit de planter ce que la nature nous a donné », s’insurge le chef cuisinier Olivier Roellinger. Dans les champs, la résistance s’organise, des paysans font circuler des graines non cataloguées. Mais pour le consommateur, il reste très difficile d’échapper aux semences standardisées.

« Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes », dans « Cash Investigation », réalisé par Linda Bendali, présenté par Elise Lucet. (France, 2019, 140 min). France.tv/france-2/cash-investigation.