Philanthropie : quand les banquiers privés se font conseilleurs
Philanthropie : quand les banquiers privés se font conseilleurs
LE MONDE ARGENT
Pour mieux accompagner leurs clients dans la structuration de leur générosité, certaines banques privées ont ouvert un département spécial.
Quoi de mieux que les salons feutrés des banques privées pour croiser de grands philanthropes ? C’est en effet souvent à ces institutions que les plus fortunés s’adressent d’abord quand ils cherchent à structurer leur générosité. Comment donner du sens à mon patrimoine ? Comment intégrer ceci dans la préparation de ma succession ? Comment créer une fondation ou un fonds de dotation ?
Quel impact sur ma fiscalité ? Comment y associer ma famille ? Autant de questions auxquelles les ingénieurs patrimoniaux de ces établissements ont l’habitude de répondre. Mais plusieurs banques sont allées plus loin ces dernières années en se dotant d’un pôle consacré au conseil en philanthropie.
« Un service proposé gracieusement à leurs clients, souligne Daniel Geggioli, responsable banque privée et gestion d’actifs au cabinet Capco. La générosité relevant de l’émotionnel, de l’intime, cette offre leur permet de tisser ou renforcer des liens affectifs avec eux, donc de les fidéliser. » BNP Paribas Wealth Management a ouvert la route dès 2008 et dispose à l’international d’une équipe conseil de neuf personnes. Plus d’un millier de clients ont déjà été accompagnés.
« Facilitateurs de philanthropie »
Si les autres banques privées qui se sont lancées ont généralement affecté juste une ou deux personnes à ce service, toutes ou presque ont recruté à ces postes des profils tout droit venus de l’univers philanthropique afin d’apporter à leurs équipes patrimoniales, juridiques et fiscales la vision stratégique et la connaissance du terrain qui pouvaient faire défaut. A l’image de Croisine Martin-Roland, qui gère le département philanthropie fondé par la Banque transatlantique en 2014. « Nous commençons par creuser leurs envies, leur demandons ce qui les fait vibrer, s’ils ont déjà fait du bénévolat, s’ils entendent se lancer en famille, etc. Cela nécessite beaucoup d’échanges », explique-t-elle.
« Chaque philanthrope fait son chemin, ce qui requiert recul, réflexion et introspection, renchérit Stéphanie Gerschtein, responsable conseil en philanthropie et mécénat chez Neuflize OBC. Je les accompagne en amont, puis ce conseil s’enrichit des différentes expertises de notre maison – ingénieurs patrimoniaux, conseil en art, etc. L’accompagnement se poursuit lors de la création de la structure juridique, si le client choisit de créer une fondation ou un fonds de dotation, et après. »
« Nous leur expliquons comment étudier les projets des associations, les critères à retenir, les questions à poser, nous leur fournissons un canevas d’analyse, en somme », ajoute Claire Douchy, responsable, chez Société générale Private Banking, du Centre d’expertise philanthropique créé début 2016 et qui suit une petite centaine de personnes par an. « Nous souhaitons être des facilitateurs de philanthropie », résume-t-elle.
Pour qui ne souhaite pas avoir sa propre fondation, ou pas tout de suite, ces banques ont par ailleurs souvent créé une solution clé en main, une structure pouvant recevoir leurs dons. A la Banque transatlantique, le fonds maison baptisé « Fonds de dotation transatlantique » a toutefois été conçu, il y a six ans, dans une optique spéciale : servir d’« incubateur à philanthropie ». « Il permet de mettre le pied à l’étrier avant de bâtir sa fondation. Les philanthropes créent leur fonds dans notre fonds, explique Mme Martin-Roland. Un peu comme ce qu’ils feraient avec une fondation sous égide. Nous les incitons à réfléchir aux projets, les encourageons à aller sur le terrain. Cela leur permet aussi de s’entraîner à la gouvernance, généralement en famille. Car même si l’envie est là, difficile d’anticiper si celle-ci s’impliquera. »
Un travail en architecture ouverte
Dans les banques privées comme ailleurs, le conseil en philanthropie s’est peu à peu structuré, professionnalisé, et de nombreux acteurs interviennent désormais. La banque privée jouant souvent le rôle de porte d’entrée dans ce monde et travaillant généralement en architecture ouverte : lorsque le projet d’un client nécessite des compétences externes, commissaires aux comptes, notaires, avocats, experts-comptables, experts dans un domaine spécifique de l’intérêt général, etc., elle lui présentera des interlocuteurs. Des services extérieurs cette fois bien sûr payants.
« Le plus dur n’est pas de créer sa fondation, mais de la faire vivre », martèle de son côté Stéphane Godlewski, qui a fondé fin 2018 l’agence d’accompagnement Doyouphil. « Au début, c’est l’euphorie, mais rapidement les créateurs s’aperçoivent que la gestion est complexe. Il existe un vrai besoin sur ce point, qu’il s’agisse du travail sur les programmes, le choix des projets à soutenir, l’animation de la gouvernance, l’évaluation. Le marché compte beaucoup d’acteurs spécialisés dans le conseil initial, moins à la suite. Je propose même aux philanthropes de déléguer à l’agence la gestion de la fondation quelques années, pour la phase de montée en puissance. »
« En parallèle se développe aussi le marché de l’évaluation d’impact, plusieurs cabinets ont vu le jour récemment pour aider les mécènes sur cet aspect », constate Arthur Gautier, qui dirige la chaire Philanthropie de l’Essec. Fort de l’explosion du nombre de fondations, le conseil en générosité, sous ses multiples facettes, a de beaux jours devant lui.