Théâtre : le milliardaire David Barclay débouté après sa plainte pour diffamation
Théâtre : le milliardaire David Barclay débouté après sa plainte pour diffamation
Par Mathilde Damgé
Le Britannique David Barclay a perdu le premier acte de la bataille qui l’opposait à un auteur français dont il voulait faire interdire la pièce de théâtre.
Tout juste anoblis par la reine, les frères jumeaux Barclay montrent avec fierté leur insigne de chevalier, dans la cour du palais de Buckingham. Cette photo, qui date de 2000, est l’une des rares que l’on possède de Sir David et Sir Frederick. / MICHAEL STEPHENS / AFP
La vie secrète d’un milliardaire peut être le sujet d’une pièce de théâtre. C’est ce qu’a décidé le tribunal civil de Caen en rejetant, mardi 2 juillet, la plainte pour atteinte à la vie privée et diffamation du milliardaire David Barclay contre l’auteur d’une pièce de théâtre inspirée de sa vie et de celle de son frère jumeau, Frederik. Les juges l’ont également condamné à 59 000 euros de dédommagement.
Cette « fable sur le capitalisme », créée en 2012 suite à une commande de la Scène nationale de Cherbourg, raconte l’ascension et l’ambiguité de ces deux hommes d’affaires. Car les frères Barclay sont une légende à eux seuls : propriétaires du Ritz de Londres et du quotidien britannique Daily Telegraph, anoblis par la reine, les Ecossais sont partis de rien pour construire un empire.
Brecquou a échappé au baillage exercé par Jersey et Guernesey sur les sept îles qui forment l'archipel anglo-normand : Aurigny, Sercq, Jethou, Herm, les Ecréous, Roches-Douvres, les Minquiers. / Wikipedia/CC-BY-SA 2.0.
Lorsqu’ils acquièrent Brecqhou en 1993, un caillou voisin de Sercq, ils vont s’opposer, « au nom de la démocratie », au système politique bien particulier de l’île anglo-normande (les premières élections, en 2008, ne leur profiteront pas), allant jusqu’à mettre en place un blocus contre les habitants de Sercq. Ils réussiront finalement, en passant par La Haye, à faire tomber ce qui était l’un des derniers systèmes féodaux d’Europe.
C’est cette épopée, et en particulier l’affrontement avec l’ancien droit normand, que raconte la pièce Les Deux Frères et les lions. « Il n’y a pas dans le texte de la pièce de faits révélés inconnus, extraordinaires, intimes ou encore imaginaires et péjoratifs susceptibles de constituer une ingérence d’une particulière gravité dans la vie » du plaignant, a tranché le tribunal. Une décision importante, dans la mesure où les frères Barclay ont aussi tenté de museler la presse.
N’hésitant pas à porter plainte en France, où la violation de la vie privée des personnalités est plus durement sanctionnée qu’en Grande-Bretagne, les deux frères prennent argument de la vente des journaux britanniques dans l’Hexagone pour contrer les journalistes britanniques. En 2008, ils ont ainsi saisi un tribunal de Saint-Malo afin de neutraliser un journaliste d’investigation, John Sweeney, qui enquêtait sur eux.
L’argument de la distanciation
Le milliardaire de 85 ans devra donc s’acquitter de 6 000 euros de dédommagement moral à l’égard de l’auteur de la pièce, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre ; de 5 000 euros pour atteinte à la liberté de diffusion à chacune des sociétés Atelier théâtre actuel, Théâtre de poche Montparnasse et Théâtre irruptionnel ; ainsi que de 3 000 euros pour l’éditeur du texte, l’Avant-Scène théâtre. M. Barclay doit aussi verser 35 000 euros au titre du remboursement des frais de justice.
David Barclay demandait « l’interdiction générale de l’œuvre », rappelle le tribunal, « des mesures radicales au regard du principe de la liberté d’expression et de diffusion (qui) doivent se justifier par des atteintes d’une particulière gravité à la vie privée ».
Or « l’auteur s’est suffisamment éloigné de la trame dramaturgique de la vie des frères Barclay pour l’écriture de l’œuvre », écrivent les juges. Si les procès en matière théâtrale sont assez rares, l’argument du tribunal – la distanciation – l’est tout autant, fait remarquer l’avocat de l’auteur, Olivier Morice.
L’avocat de David Barclay, Christophe Bigot – qui est aussi l’avocat du Monde –, a précisé que son client allait selon toute vraisemblance faire appel. « Ce n’est pas un procès de la censure. (...) Un théâtre n’est pas une zone de non-droit. David Barclay a des droits fondamentaux », avait-il plaidé lors de l’audience le 13 mai. David Barclay réclamait 100 000 euros.