A Bangui, une « chambre kangourou » pour sauver les prématurés
A Bangui, une « chambre kangourou » pour sauver les prématurés
Par Gaël Grilhot (Bangui, correspondance)
« CARNET DE SANTÉ ». A la Maternité des castors de la capitale centrafricaine, les nourrissons nés avant terme récupèrent petit à petit un poids viable grâce au peau-à-peau.
Soins de prématurés à la Maternité des castors, à Bangui, en mars 2019. / Gaël Grlhot
A sa naissance, Fionna pesait moins de 1 kg. Alors enceinte de moins de sept mois, sa mère Sylvia a dû redoubler d’efforts pour approvisionner sa famille en eau. C’était la saison sèche sur Bangui et, chaque jour, il lui a fallu marcher pendant des kilomètres sous un soleil de plomb, puis porter ses 20 litres qui font autant de kilos jusqu’à la maison familiale. Une corvée qui a déclenché l’accouchement précoce de cette jeune Centrafricaine de 16 ans.
« Lorsque nous sommes arrivés à la maternité, raconte la jeune maman, on nous a expliqué que les naissances précoces peuvent arriver en raison de notre état physique, de maladies comme le paludisme, ou parce que nous avons trop travaillé. » Elle l’ignorait.
Dès son arrivée au monde, Fionna a été prise en charge par l’unité de soins intensifs de la Maternité des castors, à Bangui. Ici pas de couveuse ni de monitoring comme dans les unités de néonatologie européennes, et pourtant le lieu sauve des milliers de bébés chaque année.
A un fil
Dans le service où Fionna dort, les consignes sanitaires sont strictes. A côté d’elle, onze tout petits nouveau-nés sont allongés, perfusés pour la plupart, sous l’œil attentif du personnel médical qui rivalise d’ingéniosité pour maintenir leur température corporelle à 37 °C. Ici, chaque mini-patient bénéficie d’un matériel dédié pour éviter toute transmission d’infection. Et en permanence, infirmiers et sages-femmes se relaient pour tenter de faire gagner du poids à ces grands prématurés, dont la vie ne tient qu’à un fil.
Avec ses 1 000 admissions et ses 850 accouchements par mois, la maternité a gagné son surnom d’« usine à bébés ». Si, dans la plupart des cas, les femmes ne restent pas plus de vingt-quatre heures – voire douze en cas de forte affluence –, pour les cas les plus compliqués les équipes prennent leur temps.
Le centre, un des rares à savoir faire avec les bébés de moins d’un kilo, est géré par Médecins sans frontières (MSF) et de nombreuses femmes risquant des complications s’y présentent spontanément ou y sont envoyées : 10 % des accouchements « aux Castors », soit près de trois par jour en moyenne, se font en effet par césarienne, et le nombre de naissance de prématurés est important.
La petite Fionna, née prématurée, gagne du poids et de la sécurité affective grâce au contact quotidien peau à peau avec sa mère dans la « chambre kangourou » de la Maternité des castors, à Bangui, en mars 2019. / Gaël Grilhot
« A ce stade-là, les nouveau-nés sont extrêmement fragiles, raconte Mathilda Msigaye, responsable des activités médicales pour MSF. Les risques d’hypothermie ou d’hypoglycémie sont très élevés. Mais dès qu’ils ont atteint 1 kg ou 1,2 kg, nous les renvoyons dans un autre service de la maternité : la “chambre kangourou” », explique la responsable. Faute de couveuse, le contact physique avec la maman reste la façon la plus efficace de conserver un équilibre thermique, et affectif. Alors, « les bébés sont placés plusieurs fois par jour dans un contact “peau à peau” avec leur mère », précise Mathilda Msigaye. Cette méthode est aujourd’hui préconisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), particulièrement pour les cas de prématurés, dans les milieux où les ressources sont limitées.
« Ce contact permet un renforcement du bébé et un gain de poids », assure Mathilda. Et Fionna en bénéficie. Dans la « chambre kangourou », où Sylvia est installée, elles sont cinq mamans à veiller sur leur nouveau-né, les collant contre leur corps, et les nourrissant à volonté jusqu’à ce que leur poids atteigne 1,5 kg. A ce poids, le danger de mort s’éloigne. « Ce sont d’ailleurs les normes internationales à partir desquelles on estime que le bébé peut quitter la maternité », précise Mathilda.
Retour au foyer
Pourtant, les soins aux bébés ne s’arrêtent pas là. La maternité a aussi aménagé un bureau de suivi pondéral ambulatoire, qui permet de gérer le poids du nourrisson après le retour de sa mère dans la communauté. Fabien Kabongo, responsable de projet MSF pour les soins sexuels et reproductifs insiste sur le fait que « la méthode kangourou doit continuer à être pratiquée au retour dans le foyer ». C’est d’ailleurs là que les choses se compliquent puisque « les femmes reprennent leurs travaux quotidiens, en s’occupant notamment des autres enfants ». Alors, pour élargir le cercle de soins « nous sensibilisons aussi les papas à porter les bébés contre leur peau plusieurs fois par jour », rappelle l’humanitaire. La deuxième étape est le passage des 2,5 kg, un poids à partir duquel le bébé devient suffisamment fort pour s’en sortir.
La chance qu’ont les bébés de passer ces seuils dépend de leur poids à la naissance puisque le fait de naître prématuré peut aussi engendrer des difficultés respiratoires ou cardiaques. Mais la méthode a fait ses preuves et sauve de nombreuses vies.
D’ailleurs, la Maternité des castors est désormais victime de son succès et les 390 membres du personnel ne suffisent plus à couvrir les besoins. Malgré une politique de formation de personnels locaux, elle manque cruellement de médecins, d’infirmiers ou de sages-femmes compte tenu de l’affluence de femmes enceintes. Pour pallier ce manque, Fabien Kabongo souhaite se concentrer sur les cas les plus problématiques. Une réorientation à venir.
Sommaire de notre série « Carnet de santé »
Chaque mercredi, Le Monde Afrique propose une enquête, un reportage ou une analyse pour décrypter les avancées des soins et de la prévention sur le continent.
Sida, Ebola, paludisme… Qui sont les « Big Killers » en Afrique ?
Durée : 11:19