Le festival Solidays s’est tenu du 21 au 23 juin 2019 à l’hippodrome de Paris-Longchamp. / AFP

« 37 millions de personnes vivent avec le VIH, dont les deux tiers en Afrique. » Alors que les festivaliers attendent les cuivres de Parov Stelar à l’hippodrome de Paris-Longchamp reconverti pour accueillir les Solidays, deux écrans géants rappellent la réalité du VIH : « 36 millions de morts depuis l’identification du virus du sida. »

Depuis sa création en 1999, Solidays met en musique la lutte contre ce virus. Ce festival « qui rassemble plus de 200 000 personnes sur trois jours autour de la musique se veut porteur de sens », indique Sébastien Folin, président du Fonds solidarité sida Afrique. Par « sens », il entend la sensibilisation faite à la lutte contre le sida, ainsi que le recueil de fonds sur la vente des billets, produits dérivés et programmes papier.

L’ONG Solidarité sida soutient chaque année 110 projets de prévention et d’aide aux malades dans le monde, grâce aux événements qu’elle produit. Et grâce aux Solidays, qui occupent une place particulière dans la liste des rendez-vous, quelque 100 000 Africains bénéficient chaque année des 40 projets dans 14 pays. En remontant à la création du festival, « plus de 800 projets ont été soutenus dans 30 pays d’Afrique », indique Florent Maréchal, le directeur des programmes.

Une aide plus que nécessaire puisque seulement 60 % des personnes séropositives en Afrique ont accès aux médicaments. A titre de comparaison, ils sont 85 % en France et 27 % au Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), la région à la plus faible couverture au monde. Comme le résume M. Maréchal, « il suffit de traverser la Méditerranée pour passer de 85 % à 1 personne sur 4… ».

Quelque 7 000 filles infectées chaque semaine

Or, l’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée au monde, avec jusqu’à 70 % des adultes et 80 % des enfants contaminés par le VIH dans certaines zones. Dans certains pays d’Afrique occidentale et centrale, quelque 7 000 filles entre 15 et 24 ans sont infectées chaque semaine, soit le nombre de contaminations annuelles en France. « Derrière ces chiffres, il ne faut pas oublier qu’il y a des visages, des êtres humains qui ont besoin d’amour et de compassion alors qu’on les rejette », soulève le président du Fonds Afrique, Sébastien Folin. Ce fonds a été créé au cœur de Solidarité sida en 2006 pour flécher les programmes et les budgets directement vers le continent africain.

Grace à ces programmes et bien d’autres, le nombre de personnes sous antirétroviraux a doublé depuis 2010 en Afrique. « Mais avant d’en arriver là, il faut d’abord être identifié comme séropositif, donc l’enjeu réside aussi dans le dépistage », souligne le président du Fonds solidarité sida Afrique. Celui-ci appelle à « rester vigilant » et cite le cas de la région MENA où les décès liés au sida ont augmenté de 66 % entre 2005 et 2015.

Solidarité sida, via le Fonds Afrique, s’engage donc à accompagner les populations vulnérables en subventionnant des associations rigoureusement sélectionnées chaque année. En juin, elles doivent répondre à un appel à projets que le conseil d’administration de l’ONG valide en décembre. Les programmes sont mis en œuvre l’année suivante, suivis par Solidarité sida. « Dès lors que les populations clés sont criminalisées, c’est difficile d’intervenir en prévention et en sensibilisation, observe Sébastien Folin, qui a participé à une mission de suivi au Togo en 2017. Ça oblige les associations à prendre des risques sur le terrain, d’autant que les personnes malades ne sont pas facilement identifiables puisqu’elles se cachent. » En effet, le travail des associations est rendu difficile par le fait que ces populations sont souvent ciblées par des politiques répressives, surtout si elles se droguent, sont travailleuses du sexe, ou ont des rapports sexuels hors mariage notamment.

Près d’un million de morts par an

Au Maroc justement, où les relations sexuelles hors mariage sont interdites, l’association 100 % Mamans – financée par Solidarité sida depuis trois ans – fournit aux mères seules un hébergement, un dépistage du VIH et un suivi médical si celui-ci s’avère positif. Certaines de ces mères sont d’anciennes travailleuses du sexe et peuvent être formées pour approcher le milieu de la prostitution afin d’« ouvrir les portes à ces femmes qu’on avait du mal à atteindre auparavant », explique Mahmoud Jafar, psychologue bénévole pour 100 % Mamans à Tanger.

Ce dernier était présent aux Solidays. Pas en tant que festivalier, mais pour participer à des ateliers d’échanges entre psychologues africains, puisque le festival permet aussi de mettre en réseau les acteurs engagés dans la lutte contre le sida. « Il est rare que les structures africaines arrivent à échanger », souligne le psychologue marocain, pour qui Solidays est « l’un des piliers » de la lutte contre ce mal trop silencieux en Afrique. « Le sida est un peu rentré dans la normalité », déplore M. Jafar, alors qu’il tue près d’un million de personnes chaque année dans le monde.

Sida, Ebola, paludisme… Qui sont les « Big Killers » en Afrique ?
Durée : 11:19

Au Togo, c’est un centre de prévention pour jeunes de Djagblé qui a été ouvert par l’ONG Action solidarité pour tous (AST) en 2014. « Sans le financement de Solidarité sida, il n’aurait pas vu le jour », affirme Djoumel Gbadamassi, son responsable médical. Depuis, il bénéficie d’un financement régulier de ses activités par Solidarité sida en cofinancement avec la Fondation Air France et la Fondation de France. Avec ses 11 salariés, dont 5 pour le corps médical, le centre togolais a dépisté plus de 5 000 personnes et pris en charge 162 personnes vivant avec le VIH (PVVIH) depuis sa création. Actuellement, il apporte aussi une aide médicale et un soutien psychologique à 167 patients, dont 8 jeunes entre 10 et 25 ans.

Ange est l’un d’entre eux. A 19 ans, il a été dépisté l’année de l’ouverture du centre, il y a cinq ans. Il était déjà très au fait des modes de contamination, dont celui de la transmission de la mère à l’enfant. « J’ai été infecté par mes parents, qui sont décédés », raconte-t-il. Aujourd’hui, il vient prendre ses médicaments une fois par mois au centre de prévention pour jeunes de Djagblé et avoue se sentir « léger et comme tout le monde » grâce au soutien psychologique dont il a bénéficié.

Si le sida a pris la vie de ses parents, les jours d’Ange ne sont désormais plus comptés. « On a essayé de le rassurer. On lui a dit qu’avec le traitement il pourrait devenir quelqu’un un jour », ajoute Djoumel Gbadamassi, le responsable médical du centre. Grâce à ce centre, grâce à Solidarité sida et indirectement grâce à l’achat de billets des 228 000 festivaliers.