Le pacte Dutreil se modernise
Le pacte Dutreil se modernise
LE MONDE ARGENT
Ce dispositif est complexe techniquement, et nécessite une véritable expertise et une grande précision dans sa mise en œuvre indique dans sa chronique Jean-François Desbuquois, membre du Cercle des Fiscalistes.
Le régime Dutreil permet lors de toute transmission à titre gratuit de réduire des trois-quarts la valeur imposable des parts ou actions de la société. / Image Source / GraphicObsession
Le « pacte Dutreil » (article 787 B du CGI) est un dispositif fiscal destiné à favoriser la transmission familiale des sociétés qui exercent une activité industrielle, commerciale, agricole, artisanale ou libérale.
Ce régime, créé en 2000, a déjà subi de très nombreux ajustements législatifs destinés à en faciliter l’utilisation. Mais constatant que la France a toujours un taux de transmission familiale des entreprises très inférieur à celui de nombreux autres pays développés, le législateur vient encore de l’améliorer sur de nombreux points à l’occasion de la loi de finances pour 2019.
En contrepartie du respect d’un certain nombre de conditions, ce régime permet lors de toute transmission à titre gratuit (donation entre vifs, ou succession) de réduire des trois-quarts la valeur imposable des parts ou actions de la société. Dans l’hypothèse où la transmission résulte d’une donation en pleine propriété, consentie par un donateur âgé de moins de 70 ans, s’y ajoute une réduction de 50 % sur le montant des droits de donation.
Le dispositif est donc très puissant et il est fréquent en pratique de constater qu’il permet de diviser par dix le coût d’une donation de société industrielle ou commerciale. Mais il est aussi complexe techniquement, et nécessite une véritable expertise et une grande précision dans sa mise en œuvre et dans son suivi pour éviter toute remise en cause.
Ce régime peut être mis en œuvre selon trois modes d’application différents.
Le dispositif de droit commun implique la réunion de trois conditions :
- Avant la transmission (donation ou succession) : le futur disposant doit souscrire un engagement collectif de conservation, formalisé dans un acte écrit et enregistré, aux termes duquel il s’engage à conserver pendant au moins deux ans, des titres représentant au minimum 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote de la société, si les titres ne sont pas admis sur un marché réglementé, ou 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote si la société est cotée (nouveaux seuils issus de la loi de finances 2019). Depuis 2019, il est aussi possible à un associé détenant un nombre suffisant de parts ou actions lui permettant d’atteindre les seuils de conclure seul l’engagement « collectif », qui porte alors bien mal son nom !
- Lors de la transmission à titre gratuit : l’héritier, le donataire ou le légataire, qui souhaite bénéficier des avantages offerts par le régime, doit prendre à son tour un engagement individuel de conserver les titres qu’il reçoit durant quatre années supplémentaires à compter de l’expiration de l’engagement collectif, et aussi respecter ce dernier jusqu’à son terme ;
- La direction de la société doit être assurée continûment pendant toute la durée de l’engagement collectif, et pendant les trois années qui suivent la transmission, soit par l’un des signataires de l’engagement collectif, soit par l’un des bénéficiaires de la transmission partiellement exonérée.
Le dispositif peut également s’appliquer, sous des modalités un peu différentes, aux transmissions de parts ou actions de sociétés interposées situées entre le redevable et la société exerçant l’activité éligible, et ce dans la limite maximum de deux degrés d’interposition.
Deux autres modes de mise en œuvre alternatifs ont été également introduits plus récemment pour permettre aux ayant cause à titre gratuit d’appliquer le dispositif même lorsque leur auteur n’avait pas pris la précaution de mettre en place un engagement collectif préalablement à la transmission :
- L’engagement conclu post mortem, applicable uniquement aux transmissions par décès, permet aux héritiers de conclure eux-mêmes, dans les six mois du décès, l’engagement collectif qui aurait dû en principe être pris par leur auteur préalablement ;
- L’engagement « réputé acquis » revient à considérer qu’une personne qui, pendant les deux ans précédant la transmission (donation ou succession), a rempli l’ensemble des conditions de seuils et de fonction, seule ou avec son conjoint ou son partenaire de PACS ou depuis 2019 son concubin notoire, est réputée avoir conclu et respecté un tel engagement collectif. Autre évolution de la loi de finances pour 2019, l’engagement réputé acquis peut désormais s’appliquer aux titres de sociétés interposées, au moins dans la limite d’un niveau d’interposition.
Concernant le respect des obligations de conservation, relevons que la loi de finances pour 2019 procède à plusieurs aménagements importants :
- En présence de sociétés interposées, l’obligation de maintien inchangé des participations applicable jusqu’alors pendant la période de l’engagement collectif est étendue à celle de l’engagement individuel,
- Le dispositif qui autorise les donataires ou héritiers à apporter à une holding les titres soumis aux engagements de conservation est entièrement refondu et assoupli. Ce mécanisme est important en pratique car il leur permet de créer une holding pour reconstituer le contrôle majoritaire sur la société cible, ou de mettre en place le financement du rachat des participations des membres de la famille qui souhaitent sortir du capital, dans les meilleures conditions financières et fiscales.
- La cession partielle de titres engagés réalisée par l’héritier, le donataire ou le légataire au profit d’un autre signataire de l’engagement collectif, permet au cédant de maintenir le bénéfice du dispositif pour le surplus des titres soumis à engagement qu’il conservera.
Enfin la loi de finances pour 2019 allège la périodicité des obligations déclaratives. Mais en revanche, nouveau danger pratique, elle crée une obligation à la charge des héritiers, ou donataires, de délivrer à l’administration fiscale une attestation du bon respect de l’ensemble des conditions dans le délai de trois mois du terme de leur engagement individuel (soit quatre à six ans après la transmission) qu’il ne faudra pas oublier.
Cette réforme constitue globalement un progrès, même si elle aurait pu être de plus grande ampleur. De nombreuses imprécisions rédactionnelles sont déjà relevées, ce qui entraînera de nouvelles difficultés d’interprétation qui s’ajouteront à toutes celles déjà existantes. Les commentaires administratifs devraient être remis prochainement à jour. Il faut souhaiter qu’ils lèvent une partie des incertitudes, et permettent de réaliser dans les meilleures conditions de sécurité juridique tous les projets de transmission familiale d’entreprises.