Donneurs anonymes : interrogations légitimes
Donneurs anonymes : interrogations légitimes
Par Catherine Pacary
A l’orée de la paternité, Rémi Delescluse filme sa quête génétique, pointant au passage les mutations de la société en trente ans.
On estime à 70 000 le nombre d’enfants nés d’un don de gamètes en France. / STP PRODUCTIONS
Attention, sujet brûlant. Alors que le débat sur l’extension du droit à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules s’échauffe, Les Enfants du secret rappelle, simplement et sans polémique, les problèmes posés par l’anonymat du donneur.
L’auteur, Rémi Delescluse, 36 ans, né de PMA, y confie ses interrogations et filme sa quête de réponses, faite de rencontres, de premières fois. Il permet, au passage, de prendre conscience de ce que l’on résume trop rapidement par : la société a changé.
Rémi Delescluse n’est pas traumatisé d’être né d’un don de gamètes – le sperme et les ovocytes. Ses parents lui ont parlé alors qu’il avait 5 ans : « Papa n’est pas vraiment papa, mais c’est quand même papa. » Ce qu’il avait traduit par : « J’ai trois parents », sans plus vraiment y penser.
Mais il y a deux ans, désirant fonder une famille, il demande à connaître le nom de son donneur et apprend que c’est impossible. Le quart du patrimoine génétique de son enfant à naître lui restera inconnu. Et s’il était porteur d’une maladie héréditaire ? Il n’y avait pas songé jusqu’ici. Le législateur non plus, lorsque, en 1994, il pose les fondements du don de gamètes sur le triptyque gratuité-anonymat-volontariat. Pour l’Eglise, la PMA est un « adultère sans joie ». Et c’est en partie pour effacer le côté adultérin de l’acte qu’il est rendu anonyme.
Une loi en retard
Le jeune homme se tourne d’abord vers ses parents. Sa mère lui ouvre son dossier médical et redécouvre une annotation devenue étrange avec le temps : « Je suis ravi de savoir que Rémi est à votre goût. » Son père, lui, confie son coup de foudre pour sa mère, le choc lorsqu’ils ont appris qu’il était stérile, et la honte non dite.
Pour la première fois, Rémi Delescluse retrouve des membres de l’association PMAnonyme. Parmi eux Arthur et Audrey Kermalvezen, en couple. Tous deux nés d’une PMA, ils sont paniqués à l’idée de pouvoir être demi-frère et sœur sans le savoir. Avocate, la jeune femme demande non pas la levée de l’anonymat mais juste de savoir si Arthur est son demi-frère. Requête refusée.
La peur de transmettre une maladie génétique, la peur d’une relation incestueuse… Si le séquençage complet du génome humain, en 2004, a mis plus de dix ans et coûté 2 milliards de dollars, la même opération, aujourd’hui, vaut 150 euros et s’effectue en deux semaines.
La tentation est forte. Audrey et Arthur (Kermalvezen) s’exécutent, ce qui permettra à ce dernier de retrouver son père biologique, une première qu’il décidera de médiatiser. Rémi Delescluse mettra plus de temps pour passer à l’acte. Quoi qu’il en soit, la loi est visiblement en retard sur les capacités jumelées de la science et du Net.
La Suisse, l’Allemagne, la Suède, la Norvège, la Finlande, Malte, le Portugal, l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Autriche, les Pays-Bas et l’Australie (PMAnonyme, mai 2019) reconnaissent l’accès au géniteur ; le Danemark, la Belgique, les Etats-Unis, le Canada et l’Islande autorisent un accès partiel. Et l’assemblée du Conseil de l’Europe a recommandé, le 12 avril, de lever l’anonymat des donneurs de gamètes. Une avancée, certes, mais qui ne permettra jamais de dévoiler tous les secrets. Sur les 70 000 enfants nés officiellement de PMA depuis 1973, seuls 7 % à 8 % connaîtraient l’origine de leur conception.
« Les enfants du secret », de Rémi Delescluse (France, 2019, 60 min). Premier des dix films de la collection « L’été des grands documentaires de société », chaque mardi en soirée et tous disponibles sur Arte.tv.