La crise diplomatique entre Washington et Londres met en lumière l’axe Trump-Johnson
La crise diplomatique entre Washington et Londres met en lumière l’axe Trump-Johnson
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
La confusion du Brexit et le discrédit jeté sur l’ambassadeur britannique à Washington ne font que rapprocher le président américain et le probable prochain premier ministre du Royaume-Uni.
Conservative party leadership candidate Boris Johnson speaks during a Tory leadership hustings at the All Nations Centre in Cardiff, Wales, Saturday, July 6, 2019. (David Mirzoeff/PA via AP) / David Mirzoeff / AP
Les fuites dans la presse destinées à compromettre l’ambassadeur britannique à Washington, le proeuropéen Kim Darroch, ne pouvaient pas tomber à un moment plus propice pour les partisans du Brexit. Elles mettent en lumière la parenté des idées anti-européennes du président américain Donald Trump avec celles de Boris Johnson, probable prochain premier ministre du Royaume-Uni. Elles soulignent aussi la dégradation des mœurs politiques liées à l’impasse du Brexit et aux tensions qu’elle génère.
Dimanche 7 juillet, le Mail on Sunday a publié des extraits de télégrammes diplomatiques confidentiels adressés à Londres par M. Darroch depuis 2017, dans lesquels il qualifie le gouvernement Trump d’« inepte » et « dysfonctionnel ». L’ambassadeur y confirme la réalité des luttes internes à la Maison Blanche et souligne la confusion qui a régné au sein de l’administration américaine après la décision prise in extremis par M. Trump d’annuler une frappe militaire visant l’Iran. « Nous ne pensons pas vraiment que cette administration, écrit M. Darroch, va devenir plus normale, moins dysfonctionnelle, moins imprévisible, moins divisée, moins maladroite, moins inepte diplomatiquement. »
Dès le lendemain de cette publication, le président américain a annoncé sur Twitter que les Etats-Unis « ne traiteraient plus » avec l’ambassadeur britannique. Prétendant « ne pas connaître » M. Darroch, Donald Trump a affirmé qu’il n’était « pas apprécié aux Etats-Unis ». Mardi 9 juillet, le président a haussé le ton : qualifiant de « dingue » et d’« idiot prétentieux », l’ambassadeur britannique, il lui a conseillé de « parler à Theresa May » de sa « négociation ratée sur le Brexit ». Au passage, M. Trump étrille la première ministre sur le départ, lui reprochant de ne pas avoir suivi ses conseils sur le Brexit et d’avoir créé « le chaos ».
Downing Street, tout en qualifiant de « regrettables » ces fuites et en affirmant que leur contenu ne reflète pas « la proximité » des relations entre Londres et Washington, a défendu son ambassadeur. « Sir Kim Darroch continue d’avoir l’entier soutien de la première ministre », a assuré un porte-parole. Mais l’ambassadeur n’a pas assisté, mardi, à l’entrevue entre Liam Fox, ministre britannique du commerce extérieur et Ivanka, fille et conseillère du président, au cours duquel M. Fox devait tenter de calmer le jeu. Le ministre se trouve à Washington pour tenter de faire avancer la perspective d’un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, grande promesse des partisans du Brexit destinée à prendre le relais de l’appartenance au marché unique européen.
Dépendance à l’égard de Washington
La crise diplomatique entre deux pays censés être unis par une « relation particulière » met à nu la dépendance à l’égard de Washington dans laquelle le Brexit risque de placer Londres. « On ne peut pas changer un ambassadeur à la demande d’un pays étranger », a lancé mardi à la BBC William Hague, ancien ministre des affaires étrangères. Ces fuites portent atteinte « non pas aux relations avec les Etats-Unis, veut croire Peter Ricketts, ancien ambassadeur britannique à Paris, mais à la réputation des Britanniques de garder leurs secrets et à l’empressement [des diplomates] à partager des informations efficaces permettant de prendre de bonnes décisions (…) ».
De nombreux observateurs relient les fuites diplomatiques au climat politique délétère lié à l’impossibilité de mettre en œuvre le Brexit trois ans après le référendum qui en a décidé. Une enquête a été ouverte pour tenter d’identifier les auteurs de ces indiscrétions dont le timing et l’objectif paraissent limpides : accélérer le renvoi d’un ambassadeur défenseur de l’Europe et du multilatéralisme pour le remplacer par une personnalité plus en phase avec Boris Johnson – favori pour remplacer Theresa May le 23 juillet –, mais aussi avec le président américain. Le mandat à Washington de M. Darroch, 65 ans, ancien représentant du Royaume-uni auprès de l’Union européenne, expire en janvier 2020. « La bonne nouvelle pour le merveilleux Royaume-uni est qu’il va bientôt avoir un nouveau premier ministre », a aussi twitté M. Trump qui qualifie M. Johnson d’« ami » et appelle de ses vœux son arrivée au pouvoir.
L’affaire, en mettant en cause la diplomatie britannique connue pour son professionnalisme et sa loyauté, ébranle le Foreign Office. « Notre pays vit un moment de fragilité et de turbulence. Il est irresponsable de saper un fondement fondamental et crucial de notre puissance », déclare au Guardian Tom Fletcher, ancien ambassadeur britannique au Liban. En janvier 2017, des fuites avaient forcé Ivan Rogers, ambassadeur britannique auprès de l’UE, à démissionner. Proeuropéen, M. Rogers mettait en garde Mme May sur les risques de sa politique.
Déstabilisation de la haute fonction publique
Le scandale avec Washington fait aussi écho à la déstabilisation de la haute fonction publique prise à partie dans la quasi-guerre de religion qu’est devenu le Brexit. Mark Carney, gouverneur de la banque d’Angleterre, a été traité de « saboteur » par des partisans du Brexit en raison de ses mises en garde sur la dégradation de l’économie. Au début du mois de mai, des discussions secrètes du Conseil national de sécurité sur le risque de faire participer la firme chinoise Huawei à la couverture britannique 5G ont fuité dans la presse, obligeant le ministre de la défense Gavin Williamson, mis en cause, à démissionner. Ce dernier est aujourd’hui l’un des dirigeants de la campagne de M. Johnson pour Downing Street.
La déstabilisation de l’ambassadeur Darroch va probablement amener le prochain premier ministre – au vu des sondages, certainement M. Johnson – à lui choisir un remplaçant. Jusqu’à présent circulait le nom de Mark Sedwill, actuel secrétaire général du gouvernement. Mais la fuite du Mail on Sunday, publiée sous la signature d’une journaliste proche d’Arron Banks, financier de la campagne pro Brexit du leader d’extrême droite Nigel Farage, braque les projecteurs sur ce dernier. Sitôt après son élection, en novembre 2016, Donald Trump avait reçu M. Farage. « Beaucoup de gens aimeraient voir Nigel Farage représenter la Grande-Bretagne comme ambassadeur aux Etats-Unis, avait alors twitté M. Trump. Il ferait un excellent travail ! ». Se disant « très flatté », l’intéressé n’avait pas rejeté la proposition qui visait à remplacer Kim Darroch, nommé ambassadeur à Washington en janvier 2016. Londres avait alors balayé la suggestion présidentielle.
Interrogé mardi 8 juillet à la BBC, Nigel Farage a affirmé qu’il n’était « pas la bonne personne » pour être ambassadeur à Washington. Il pense cependant pouvoir « être très utile ». « Suis-je la bonne personne pour aider à construire une meilleure relation en termes de renseignements, de sécurité et de commerce avec une administration où j’ai des amis ? – Oui », a-t-il fanfaronné. Pendant sa visite à Londres, le 4 juin, Donald Trump a rencontré Nigel Farage à l’ambassade américaine. Depuis que son Parti du Brexit est arrivé en tête aux Royaume-Uni lors des élections européennes du 23 mai, le premier promoteur du Brexit est revenu au centre du jeu politique. Au point que Boris Johnson pourrait avoir à conclure un pacte électoral avec lui en cas d’élections législatives, cet automne, pour éviter une déconfiture du parti conservateur.
Un récent sondage montre à quel point les 160 000 adhérents des Tories qui vont désigner leur futur leader et partant, le premier ministre, sont en phase avec le président américain. 46 % d’entre eux pensent que le danger de réchauffement climatique a été « exagéré » et 56 % que « l’islam menace le mode de vie britannique ». Ils sont même 54 % (contre 43 %) à trouver que le président américain ferait un bon premier ministre, soulignant le risque d’une « trumpisation » du Royaume-Uni sous Boris Johnson.