En Egypte, le combat des chrétiens coptes pour intégrer le football professionnel
En Egypte, le combat des chrétiens coptes pour intégrer le football professionnel
Par Hélène Sallon (Le Caire, Alexandrie, envoyée spéciale)
La minorité religieuse est discriminée dans la pratique du ballon rond de haut niveau, dans une Egypte qui accueille jusqu’au 19 juillet la Coupe d’Afrique des nations.
A Mahdi Al-Zahraa, une banlieue dans le sud du Caire, Fadi Boulos suscite depuis longtemps l’admiration des gens du quartier. Quand il tape le ballon avec ses amis dans ces rues sans asphalte, les voisins se mettent au balcon pour observer ses prouesses. A 17 ans, l’adolescent longiligne ne compte pourtant plus les déconvenues avec les clubs de football. « Depuis tout petit, je veux devenir joueur professionnel. Je sais que j’ai du talent et je prends ça au sérieux. Mais c’est toujours le même problème : je suis écarté à cause de ma religion. Je ne suis pas le premier… », raconte Fadi Boulos, qui appartient à la minorité chrétienne copte d’Egypte.
Repéré à 12 ans dans le quartier par un dénicheur de talents, Fadi Boulos a passé les tests d’entrée pour la sélection junior du plus grand club d’Egypte, le club Al-Ahly au Caire. « L’entraîneur m’a dit que j’étais un sacré joueur », se souvient-il, fier. Mais, au moment de s’inscrire, « ils ont vu que mon nom était à consonance copte et ça s’est arrêté là », précise-t-il. Sans aucune explication. Ailleurs, la discrimination a été encore plus flagrante. « Dans le club d’Al-Gouna, les autres garçons ne me passaient pas les balles. L’entraîneur était très sarcastique et, au bout de deux mois, il m’a dit que ce n’était pas la peine de revenir », poursuit l’adolescent.
Il y a un an, un autre dénicheur de talents lui a juré qu’il pourrait l’intégrer n’importe où… si seulement il changeait de nom. Fadi a refusé et s’est résigné à entrer dans un club de 4e division à Imbaba, un quartier du Caire. « Fadi a gagné la médaille de meilleur joueur du quartier de Maadi lors des compétitions de ramadan pendant quatre années consécutives. C’est un bon ! », plaide son père. A la rentrée, Fadi reprendra au même endroit. Mais il ne perd pas espoir d’intégrer un meilleur club ou d’être recruté à l’étranger. « Je vais essayer encore et encore », dit-il, déterminé. L’adolescent savait ce qui l’attendait. « Mon grand frère a rencontré les mêmes problèmes et a laissé tomber à 19 ans, précise-t-il. La situation est désastreuse : ils ne nous acceptent pas comme joueurs, même dans les clubs où le dirigeant est copte comme le club Degla. »
Aucun copte chez les Pharaons
Alors que l’Egypte vit au rythme de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui se tient dans le pays jusqu’au 19 juillet, le destin de Fadi résume les brimades vécues au sein du football professionnel égyptien par cette minorité composant 10 % de la population. L’équipe nationale des Pharaons – éliminée samedi 6 juillet en huitièmes de finale par l’Afrique du Sud (1-0) – ne compte aucun copte. « En 100 ans, il n’y a eu que neuf joueurs coptes de haut niveau, bien qu’on ait des jeunes très talentueux », affirme le père de Fadi, Naguy Boulos.
Hani Ramzi, devenu entraîneur adjoint de l’équipe nationale, est le seul joueur d’origine copte à avoir joué avec les Pharaons, dont il a été le capitaine dans les années 1990. Dans une interview télévisée, en avril 2018, l’ancien footballeur international Ahmed Hossam dit « Mido » avait fustigé « la discrimination très enracinée dans le football en Egypte » de la part des dirigeants et entraîneurs de clubs. Il avait appelé les dirigeants sportifs à légiférer en faveur d’une représentation chrétienne d’au moins 10 % au sein des clubs égyptiens.
Cette discrimination envers la minorité chrétienne copte s’observe dans tous les secteurs de la société. Particulièrement ciblées par les attaques terroristes perpétrées par les djihadistes ralliés à l’organisation Etat islamique (EI), ses membres sont aussi la cible récurrente de violences communautaires, notamment dans les zones rurales de Moyenne et Haute-Egypte. Dans son dernier rapport annuel, pour l’année 2018, Amnesty International notait que « l’impunité demeurait la règle pour les attaques interconfessionnelles commises contre la communauté chrétienne », et qu’en conséquence les violences commises par des acteurs non étatiques contre des chrétiens se sont multipliées. « Les autorités ont continué de porter atteinte au droit à la liberté de religion en exerçant une discrimination contre les chrétiens », notait par ailleurs l’ONG.
Une académie de football pour les chrétiens
Les clubs qui ne rappellent pas ou qui inscrivent d’office sous un nom à consonance musulmane, Mina Bendari est lui aussi passé par là. A 24 ans, cet Egyptien de confession copte du quartier Sidi Bichr à Alexandrie a mis une croix sur ses espoirs de carrière professionnelle, mais il ne s’est pas résigné pour autant à abandonner sa passion du ballon rond. En 2015, il a passé son diplôme d’entraîneur et a créé sa propre académie de football pour les chrétiens, qui porte le nom français « Je suis ». Une manière de dire : « Je suis chrétien et oui, j’ai le droit de jouer et d’exister », résume ce jeune homme, tatoué du slogan et d’une couronne surmontée de la croix chrétienne. « Ma carrière est fichue, j’ai décidé de me battre pour la nouvelle génération », explique Mina Bendary, sur le terrain entouré de barres d’immeubles de l’Alex Sports Stadium.
A défaut de locaux à enregistrer – 1 500 m2 au minimum selon la loi –, son académie n’a pas de licence. Elle fonctionne uniquement avec les frais d’adhésion – 100 livres égyptiennes par mois (quelque 5 euros) – payés par ses adhérents. Ils sont soixante, de 4 à 33 ans, dont quinze filles et quinze musulmans, à suivre les entraînements deux fois par semaine. Mohamed Mahmoud, un musulman de 17 ans, a choisi de jouer et de s’entraîner au sein de l’académie avec l’espoir « d’apporter le changement dans la société ». En 2008, pour la première fois, il a participé au championnat national en 4e division avec l’équipe « Je suis ». « On a trouvé un club qui était enregistré pour le championnat mais n’avait pas d’équipe. On loue le nom pour 2 000 livres égyptiennes », explique Mina Bendari.
Ses deux équipes ont fait une entrée remarquée dans le championnat : la deuxième place du classement pour les juniors et la troisième pour les adultes. « Le véritable succès, ça a été d’entendre les entraîneurs des autres équipes et le public dire : “Ah, les coptes savent jouer au football !” J’ai même eu des clubs qui ont proposé de me racheter des joueurs », se félicite Mina Bendari. Depuis ce succès, il a ouvert des branches dans d’autres provinces d’Egypte, dans des villes comme Damanhour, Le Caire ou Assiout. Pour la saison à venir, l’équipe féminine devrait à son tour participer au championnat.
« Les filles jouent mieux que les garçons, elles participent davantage », assure Mina Bendari. Mais, au sein de la communauté, le football n’est pas un sport que les familles acceptent facilement. Marina Tarek, une étudiante en commerce de 20 ans, qui a un sacré coup de pied, joue depuis cinq ans dans l’équipe féminine de l’église et au sein de l’académie depuis un an. « J’ai réussi à convaincre ma famille. Ils avaient peur du qu’en-dira-t-on et que je me casse quelque chose », précise la jeune femme. Elle ambitionne de devenir joueuse professionnelle. Dans son entourage amical, on l’encourage : « Depuis quatre à cinq ans, les choses ont commencé à vraiment changer pour le football féminin, tout simplement parce qu’on force la société à nous accepter. »