Un djihadiste malien devant la Cour pénale internationale
Un djihadiste malien devant la Cour pénale internationale
Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
Les juges doivent décider de la mise en accusation d’Abdoulaziz Al-Hassan pour « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » commis en 2012 à Tombouctou.
Le Malien Abdoulaziz Al-Hassan le 8 juillet 2019 à la Cour pénale internationale, à La Haye, aux Pays-Bas. / EVA PLEVIER / AFP
Désormais incarcéré, le touareg malien Abdoulaziz Al-Hassan fut longtemps « un homme de bureau et un homme de terrain », selon le bureau du procureur. Ce pharmacien, devenu commissaire de la police islamique durant l’occupation du nord du Mali par des groupes djihadistes entre avril 2012 et janvier 2013, a comparu devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), du 8 au 17 juillet pour des audiences de mise en accusation. Il est suspecté de « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre pour persécutions, actes inhumains, torture, viols, esclavage sexuel, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne et attaques de bâtiments religieux ».
Armés grâce aux stocks d’armes récupérés après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, les djihadistes d’Ansar Eddine, où émargeait Abdoulaziz Al-Hassan, d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’autres groupes, auraient élaboré « un plan commun visant à asseoir leur pouvoir » sur Tombouctou. Face aux juges, la procureure Fatou Bensouda a présenté « le cœur de l’affaire : le recours à la violence, la commission de crimes pour imposer aux forceps une vision idéologico-religieuse sur des Tombouctiens et Tombouctiennes rabaissés, humiliés, violentés et, pour tout dire, soumis à une véritable persécution dont ils ne voyaient pas la fin ». Selon l’accusation, Abdoulaziz Al-Hassan y a largement contribué.
« Ordonnance du convenable et interdiction du blâmable »
A l’époque, le suspect participe en effet à « l’ordre nouveau » de Tombouctou dont Iyag Ag-Ghaly, le chef d’Ansar Eddine, avait posé les actes fondateurs. Ce dernier apparaît comme le responsable clé dans chaque acte de l’enquête du procureur depuis son ouverture à la demande de Bamako en 2013, mais c’est Abdoulaziz Al-Hassan qui est à la barre.
Il est le second détenu de la CPI pour les crimes du Mali. Avant lui, Ahmed Al-Mahdi avait, en 2015, plaidé coupable de « crimes de guerre » pour la destruction des Mausolées de Tombouctou et purge une peine de neuf ans de prison au Royaume-Uni. Devant la cour, l’ex-chef de la brigade des mœurs avait raconté que les rites auxquels s’adonnaient les habitants autour des Mausolées n’étaient pas conformes à l’islam, mais qu’il avait néanmoins déconseillé leur destruction, finalement ordonnée par Iyad Ag-Ghaly.
Rien, dans le dossier, n’indique qu’Al-Hassan, 41 ans, décidera à son tour de se repentir. Son avocate assure que le procureur l’affuble de pouvoirs qu’il n’avait pas. « Qui donnait les ordres ? », lance-t-elle aux juges. « Etait-ce Monsieur Al-Hassan qui décidait d’imposer ces règles morales et de les exécuter ? Non », poursuit Melinda Taylor. Mais, suite à son arrestation en avril 2017 par les soldats français de l’opération « Barkhane », l’ex-commissaire de la police islamique, dirigée par un émir, avait été interrogé par les enquêteurs de la CPI. Il reconnaissait alors, admettait et racontait des faits dont il est aujourd’hui suspecté. « J’ai aidé des gens qui tuent les Nations unies, qui tuent l’armée française, qui tuent les armées maliennes », lit à la Cour le substitut du procureur, Gilles Dutertre.
Ce témoignage devrait former une pièce clé du dossier de l’accusation, qui affirme qu’Abdoulaziz Al-Hassan a organisé les patrouilles quotidiennes des quarante policiers qui, en 2012, tiennent « la Perle du désert » en coupe réglée pour faire respecter sa vision de la charia (la loi islamique). Il devait veiller à « l’ordonnance du convenable et à l’interdiction du blâmable », a-t-il expliqué aux enquêteurs, demander « aux gens de rentrer dans l’islam et se repentir » pour avoir fumé, écouté de la musique, joué au football, bu de l’alcool, pratiqué la magie, porté des amulettes, voire fréquenté le sexe opposé… Selon l’une des dépositions figurant au dossier, « la charia existait à Tombouctou avant l’occupation, mais pas dans la version extrême qu’ils voulaient nous imposer ».
De ses bureaux de la Banque malienne de solidarité, puis de l’hôtel La Maison, tous deux réquisitionnés, « Al-Hassan était “celui qui faisait les papiers” », explique le procureur. Mais pas seulement. Le commissaire aurait aussi donné l’exemple à ses hommes en exécutant les sanctions. Il a reconnu avoir fouetté deux hommes, en avoir frappé un autre pour adultère, avoir torturé des suspects, fort de l’aval du tribunal islamique formé de juges siégeant kalachnikov à l’épaule.
Sexe « dans le respect de la religion »
Parmi les témoins sur lesquels le procureur s’appuie pour obtenir la mise en accusation d’Al-Hassan, une femme décrit « la corde utilisée pour la fouetter comme celle qui est vendue sur le marché pour faire des sommiers de lit » ou « attacher le bétail ». Pour « récompenser » les soldats du djihad, selon le procureur, des femmes étaient mariées de force pour autoriser des relations sexuelles « dans le respect de la religion ».
Une survivante, dont la déposition figure au dossier, a raconté comment les « rebelles faisaient maison par maison pour trouver les filles célibataires ». Une femme violée régulièrement et parfois plusieurs fois par nuit, a décrit son enfer : « J’étouffais, tout ce qui restait de moi, c’était un cadavre. » Pour l’accusation, les occupants comptaient créer une nouvelle génération de djihadistes.
Les juges ont jusqu’à mi-septembre pour décider de sa mise en accusation ou de sa relaxe.