Henri Konan Bédié, prêt à aller à la présidentielle ivoirienne de 2020, « si le parti me le demande »
Henri Konan Bédié, prêt à aller à la présidentielle ivoirienne de 2020, « si le parti me le demande »
Propos recueillis par Cyril Bensimon
L’ex-président de Côte d’Ivoire, âgé de 85 ans, n’a pas enterré toutes ses ambitions politiques et s’en explique au « Monde Afrique ».
Ce n’est pas une déclaration de candidature formelle, mais à 85 ans, et 86 ans quand aura lieu de la présidentielle prévue en octobre 2020, Henri Konan Bédié n’a pas enterré son ambition de revenir aux commandes de la Côte d’Ivoire. Dans un entretien accordé au Monde Afrique, jeudi 1er août, l’ancien chef de l’Etat ivoirien (1993-1999), actuellement à Paris, envisage de se présenter à la magistrature suprême… si les militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) le sollicitent.
En rupture avec le président Alassane Ouattara, avec lequel il avait fait alliance entre 2005 et 2018, le « Sphinx de Daoukro » est allé, lundi, rencontrer Laurent Gbagbo à Bruxelles avec lequel il tente d’opérer un rapprochement politique. En Côte d’Ivoire, les alliances se font et se défont, mais toujours autour des mêmes acteurs.
Rencontre avec le plus âgé mais pas le moins virulent d’entre eux. Un homme qui fut au milieu des années 1990 le promoteur de l’ivoirité, un concept proche de la préférence nationale, qui permit d’écarter Alassane Ouattara de la course à la présidence et contribua à la crise politique des années 2000. Aujourd’hui, Henri Konan Bédié ne regrette rien et reprend les thèmes qu’il avait un temps délaissés.
Vous avez 85 ans aujourd’hui. Qu’est-ce qui anime encore votre engagement politique ?
Henri Konan Bédié J’estime que quand on est un homme politique, on ne s’appartient pas, on appartient à la communauté dont on gère la destinée. Je suis président du PDCI-RDA. Ce parti a survécu à toutes les épreuves et vit encore. Par conséquent, tant qu’il me reste les forces physiques et intellectuelles, je continue le travail.
Quelles sont vos intentions pour la présidentielle d’octobre 2020 ?
Toute intention de militant doit être raisonnable et soumise aux instances dirigeantes du parti. C’est le PDCI qui désigne le candidat. Dans la tradition du PDCI, on ne sollicite pas, ce sont les militants qui le font. Le parti décidera entre octobre et le premier semestre 2020.
Votre parti se prononcera dans quelques mois mais, en votre for intérieur, souhaitez-vous briguer la présidence de la République ?
Si on me le demande, je suis un homme de service, un homme qui a suivi une tradition de don de soi, mais nous n’en sommes pas encore là.
Vous aurez 86 ans au moment de la prochaine élection. Est-ce encore un âge pour briguer la présidence de la République ?
Je suis un jeune parmi d’autres. En Afrique, il y a des présidents plus âgés que moi et si vous regardez à l’échelle du monde, ils sont encore plus nombreux. Le dirigeant de la Malaisie a plus de 90 ans. Tant que l’on a les ressources intellectuelles et physiques, je crois qu’il n’y a pas d’âge pour diriger un pays.
Etes-vous inquiet pour l’échéance de 2020 ?
Nous avons de sérieuses appréhensions compte tenu de ce qui s’est passé lors des récentes municipales et régionales (en octobre 2018) où il y a eu morts d’hommes (au moins 5) et trop de violences de la part de ceux qui sont au pouvoir actuellement. La tentation de la tricherie est telle que l’on peut craindre des élections calamiteuses.
Lundi, vous avez rencontré Laurent Gbagbo à Bruxelles. Quel homme avez-vous retrouvé ?
J’ai retrouvé en Laurent Gbagbo le combattant que j’ai toujours connu. Il est en bonne santé et je crois qu’il a encore des projets pour l’avenir.
Vous aviez eu tous les deux par le passé des mots très durs l’un envers l’autre. Tout est oublié aujourd’hui ?
Il faut bien que la vie se fasse. On ne peut pas toujours s’arc-bouter sur le passé. J’étais au pouvoir et lui dans l’opposition, puis il a été au pouvoir pendant que j’étais en exil à Paris, nos échanges ne pouvaient donc pas être mielleux. Aujourd’hui, les choses ont changé, nous ne sommes plus au pouvoir et donc toutes les raisons sont réunies pour que, selon la tradition ivoirienne, nous échangions, sympathisions.
Pourriez-vous nous livrer quelques informations sur votre tête-à-tête ?
Ce n’est pas encore le moment, mais sachez que nous avons décidé de commencer à travailler ensemble sur le terrain.
Vous souhaitez aujourd’hui que vos deux partis partent alliés à l’élection de 2020 mais sous quelle formule ?
Nous n’avons pas parlé de cela mais nous estimons que, dans la perspective de 2020, chaque parti doit avoir un candidat et en cas de second tour les autres se rangeront derrière le mieux placé. C’est la formule qui convient lorsque l’on est plusieurs partis à se présenter.
Que répondez-vous à ceux qui jugent que votre rapprochement avec M. Gbagbo comme votre dénonciation actuelle du régime sont purement opportunistes ?
Ce que je dis a trait à des réalités vécues en Côte d’Ivoire. Par le passé, je n’étais pas dans l’opposition et forcément, dans une alliance, on est astreint à certaines choses. Cependant, tous ces problèmes qui menacent aujourd’hui la vie des Ivoiriens n’étaient pas aussi manifestes quand j’étais dans l’alliance [avec le pouvoir en place].
Quels sont, selon vous, les dangers les plus graves qui planent sur votre pays ?
L’invasion massive de toute la Côte d’Ivoire par de soi-disant orpailleurs armés, la fraude massive sur la nationalité ivoirienne sur laquelle le gouvernement ne mène aucune enquête pour arrêter le phénomène, le refus de réformer la Commission électorale indépendante pour que celle-ci soit impartiale, autonome et disposant d’une police pour appliquer ses décisions.
Vous considérez que, par le biais de l’orpaillage clandestin, la présidence d’Alassane Ouattara permet une colonisation de la Côte d’Ivoire par des ressortissants de la région ?
La Côte d’Ivoire subit une invasion massive, incontrôlée, de gens venus principalement des pays environnants. Le gouvernement ne fait rien pour arrêter cela. Ces problèmes dus à l’orpaillage sont répandus sur tout le territoire et bénéficient de complicités locales. A Ouagadougou, le président Ouattara a d’ailleurs reconnu jeudi que l’orpaillage est un vrai problème pour notre pays.
Quand vous dites en juin qu’il faudra agir « pour empêcher un hold-up sur la Côte d’Ivoire » ou bien encore qu’« il faut que nous réagissions pour que les Ivoiriens ne soient pas des étrangers chez eux », ne risquez-vous pas de mettre le feu aux poudres ?
Pourquoi voulez-vous que cela mette le feu aux poudres ? Nous n’avons pas dit cela pour exclure qui que ce soit. Nous le faisons pour que ceux qui veulent vivre en Côte d’Ivoire et même prendre la nationalité ivoirienne fassent cela en suivant les procédures. J’ai été le chef de l’Etat ivoirien qui a naturalisé le plus d’étrangers, particulièrement des Burkinabés et des Maliens. Mais il vaut mieux que l’on parle de ce qui se passe dans le pays. La population autochtone est d’accord avec ce que je dis. C’est si l’on n’en parle pas qu’il pourrait y avoir un jour une réaction contre ces étrangers.
Vous ne craignez pas que vos propos réveillent les vieux démons de la division apparus avec l’ivoirité ?
Le mieux est déjà de se charger du démon actuel qui rôde autour des Ivoiriens. Pourquoi cette immigration massive, incontrôlée, armée, menacerait-elle la sécurité des Ivoiriens sans que l’on puisse rien dire ? En quoi l’ivoirité est-elle un démon ? Vous ne parlez pas de francité ? D’arabité ? D’american way of life ? Quel pays n’a pas d’identité ? Laissons là ce débat de mauvaise foi qui ne prospère plus. Pendant un temps, on s’est servi de notions émotionnelles en parlant de xénophobie, de haine des étrangers. Cela ne prend plus en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens sont mûrs.
Un certain nombre de cadres importants du PDCI vous ont tourné le dos pour rejoindre la formation voulue par Alassane Ouattara. N’êtes-vous pas politiquement affaibli ?
Le PDCI, depuis sa création en 1946, a vu bien des départs et des trahisons. Au temps colonial, il y avait déjà le groupe des partis alliés à la puissance coloniale qui se présentaient comme les « progressistes ». Plus tard, en dehors du Front populaire ivoirien, tous les partis qui sont apparus avec l’arrivée du multipartisme sont issus du PDCI. Le départ de quelques éléments ne peut donc pas nous inquiéter. Pour dix qui partent, nous en avons 10 000 qui entrent.
Avez-vous tiré un trait sur le coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui vous a chassé du pouvoir ?
Oui bien sûr, depuis longtemps.
Qui en étaient les commanditaires ?
Les responsables se connaissent et je les connais aussi. Je leur ai pardonné et je leur laisse le temps de demander pardon à la nation. Ils m’ont personnellement demandé pardon. Il leur reviendra de le faire publiquement lors des séances de Réconciliation nationale que nous souhaitons organiser si nous gagnons les élections.
Depuis le milieu des années 1990, la Côte d’Ivoire a connu de violentes crises. Avez-vous des regrets ?
Je ne regrette rien, sauf ce que je n’ai pas pu faire. Je n’ai pas de sang sur les mains. Parmi les dirigeants de Côte d’Ivoire et même au monde, je suis l’un des rares à ne pas avoir versé le sang d’autrui. Je n’ai pas de sang sur les mains. Je ne suis pas riche. Je ne me suis pas « servi » lorsque j’étais au pouvoir. Je suis donc en paix avec ma conscience.
La rupture avec le président Ouattara est-elle définitive ?
Avec son parti oui, mais nous nous parlons toujours, entre hommes. D’ailleurs, il me considère toujours comme le chef de sa famille, ce qui signifie que nous n’avons pas d’inimitiés personnelles.