La tension monte au Kirghizistan, où le conflit entre le chef de l’Etat actuel et son prédécesseur a déjà fait un mort. Jeudi 8 août, vingt-quatre heures après une première attaque qui a échoué, les forces spéciales ont lancé un nouvel assaut contre la résidence de l’ancien président, Almazbek Atambaïev. La crainte d’un embrasement du pays grandit alors que le Kirghizistan a déjà été secoué par deux révolutions, en 2005 et 2010.

Un millier de membres des forces spéciales sont déployés autour du bâtiment pour arrêter l’ancien chef de l’Etat, inculpé pour corruption et en conflit avec son successeur, selon la députée Irina Karamouchkina, alliée de M. Atambaïev. Un nombre équivalent de partisans de M. Atambaïev leur font face à l’intérieur de la résidence, située dans le village de Koï-Tach, près de la capitale, Bichkek.

Almazbek Atambaïev, 62 ans, qui a quitté le pouvoir à la fin de 2017, a vu son immunité d’ancien président de la République levée par les députés. Il est soupçonné d’acquisition illégale de terres et d’avoir fait libérer un membre d’un clan mafieux ; accusations qu’il dénonce comme une manœuvre politique du nouveau président, son rival Sooronbaï Jeenbekov.

Des partisans armés d’Almazbek Atambaïev à l’intérieur de sa résidence, à Koï-Tach le 7 août 2019. / VLADIMIR PIROGOV / REUTERS

Un mort et 57 blessés

A la fin de son mandat, Almazbek Atambaïev avait réussi au prix de manœuvres politiques à imposer la candidature de Sooronbaï Jeenbekov, alors son poulain, mais leurs relations se sont rapidement dégradées. Leur conflit personnel fait désormais craindre de graves troubles dans cette ex-république soviétique d’Asie centrale par ailleurs en proie à de fréquentes tensions ethniques.

L’assaut de mercredi a donné lieu à des violences. Un correspondant de l’Agence France-Presse a vu les policiers et des centaines de partisans de M. Atambaïev se lancer des pierres. Et des partisans de M. Atambaïev ont désarmé et battu des hommes des forces spéciales pour les prendre ensuite en otage, tandis que d’autres partisans tentaient de les protéger. 

Un membre des forces spéciales a aussi été tué et le chef de la police de la province de Tchouï (nord), présent sur les lieux, est grièvement blessé. Selon le procureur général, au total 23 civils et 24 membres des forces de sécurité ont été hospitalisés. Le ministère de la santé a précisé jeudi que certains des civils présentaient des blessures par balle.

Des partisans armés d’Almazbek Atambaïev entourent un membre blessé des forces spéciales fait prisonnier à l’intérieur de la résidence de l’ancien chef d’Etat, à Koï-Tach le 7 août 2019. / VLADIMIR PIROGOV / REUTERS

Risque de conflit civil

Le président Jeenbekov a écourté ses vacances pour rentrer à Bichkek. Il a tenu jeudi matin une réunion d’urgence du Conseil de sécurité national lors de laquelle il a accusé M. Atambaïev d’avoir bafoué la Constitution en s’opposant aux forces de l’ordre. Il a appelé les membres du Conseil, parmi lesquels le ministre de l’intérieur, le procureur général et le chef des services spéciaux, à prendre des « mesures immédiates » visant à maintenir la loi, la paix et la sécurité dans le pays. Pour sa part, M. Atambaïev, qui juge les accusations portées contre lui « absurdes », a annoncé son intention de ne pas se laisser faire, se disant prêt à « rester debout jusqu’à la fin » et à s’opposer à son arrestation.

Le peuple kirghiz « ne vivra jamais à genoux, ne sera jamais un troupeau de moutons, ne sera jamais l’esclave du clan dirigeant », a-t-il déclaré dans une adresse diffusée sur la chaîne de télévision dont il est propriétaire. En juin, M. Atambaïev s’était rendu en Russie, pays allié du Kirghizistan, pour être reçu par Vladimir Poutine. Le président russe s’était alors inquiété de possibles troubles, prônant la « stabilité politique » dans le pays.

« Malheureusement, le conflit a atteint ces derniers jours un seuil de danger », a averti jeudi le chef du service de renseignement extérieur russe (SVR), SergueÏ Narychkine, cité par l’agence de presse publique russe RIA Novosti. L’analyste politique et blogueur vidéo Azim Azimov a déclaré craindre « un conflit civil (…), si les deux parties décident d’aller jusqu’au bout ». « C’est l’issue potentielle la plus effrayante », a-t-il prévenu.