Le « Financial Times » met en cause les données sur la pauvreté au Rwanda
Le « Financial Times » met en cause les données sur la pauvreté au Rwanda
Par Anahit Miridzhanian
Le gouvernement de Kigali et la Banque mondiale continuent de défendre la véracité de leurs calculs, plusieurs fois mis en doute depuis 2015.
Le président rwandais, Paul Kagame, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, le 23 janvier 2019. / Arnd Wiegmann / REUTERS
Dans une enquête publiée mardi 13 août, le quotidien britannique Financial Times met en cause le miracle économique régulièrement vanté par les autorités rwandaises. Les deux journalistes estiment que les statistiques selon lesquelles la pauvreté a été progressivement réduite depuis 2001 sont inexactes. « Les données ont été incorrectement interprétées au moins une fois », ce qui met en doute les progrès économiques du Rwanda et l’intégrité de sa relation avec son plus grand donateur, la Banque mondiale, avancent-ils.
L’organisation financière internationale a investi dans le pays plus de 4 milliards de dollars (plus de 3,5 milliards d’euros) depuis le génocide de 1994 et a soutenu la réalisation de réformes structurelles dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’agriculture.
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Ce n’est pas la première fois que les statistiques sur la pauvreté au Rwanda sont contestées. En 2015, un petit groupe d’universitaires avait lancé l’alerte, mais les conclusions de leurs analyses, publiées en partie dans la Review of African Political Economy, avaient été ignorées par le gouvernement rwandais et la Banque mondiale. La même année, rappelle le Financial Times, un groupe d’employés de la Banque mondiale avait écrit une lettre anonyme à la direction, dans laquelle ils alertaient sur « la manipulation des statistiques officielles et l’absence de données fiables et publiques ».
Une forte inflation
Selon l’enquête du quotidien britannique, « la pauvreté aurait augmenté pendant au moins un moment important : avant le référendum de 2015 » pour un changement de la Constitution permettant au président Paul Kagame de briguer de nouveaux mandats.
Le rapport de l’Institut national des statistiques du Rwanda (NISR), publié avant le référendum, indiquait que la proportion des habitants pauvres avait diminué de 44,9 % en 2011 à 39,1 % en 2014. Or, « entre 2011 et 2014, le coût des produits a connu une augmentation d’au moins 30 % », estime Sam Desiere, chercheur à l’université de Louvain (Belgique). L’évolution du taux de pauvreté dépendant de celui de l’inflation, « cela impliquerait que la pauvreté dans le pays a augmenté de 6,6 points de pourcentage », poursuit le Financial Times.
Le gouvernement de Kigali et la Banque mondiale continuent de défendre la véracité de leurs calculs. « La performance du Rwanda dans la réduction de la pauvreté est réelle et sans équivoque », insiste Yusuf Murangwa, directeur général du NISR. Il explique que les progrès économiques du pays sont corroborés par d’autres tendances positives : l’inclusion financière, l’expansion des recettes fiscales et les résultats des études démographiques et médicales. « Rien de cela n’aurait été possible si la pauvreté augmentait réellement », poursuit-il.
Les membres de l’opposition dénoncent, eux, des performances économiques biaisées, destinées à faire oublier les pratiques autoritaires de Kigali. « Le gouvernement essaye de faire sa communication pour cacher ce qui se passe réellement dans le pays », dénonce Diane Rwigara, emprisonnée durant douze mois après s’être présentée face à Paul Kagame à l’élection de 2017 : « Quand on arrive ici en tant que visiteur, tout est fait pour vous impressionner, mais la réalité est très bien cachée. »