Ce que les « Panama papers » nous apprennent sur Patrick Drahi et le groupe Altice
Ce que les « Panama papers » nous apprennent sur Patrick Drahi et le groupe Altice
Par Maxime Vaudano, Jérémie Baruch
Depuis le début des révélations, le nom du patron du groupe de télécommunications est cité par de nombreux médias. S’il est vrai qu’une des sociétés utilisées un temps par Altice y apparaît, les documents ne disent rien de neuf du dossier.
L’empire industriel de Patrick Drahi est complexe. Très complexe, même, à tel point que même les analystes s’y perdent. Seul l’économiste Benoît Boussemart a réussi à recomposer les pièces du puzzle, en publiant en octobre 2015 un étonnant schéma sur son blog.
L'empire Drahi reconstitué par l’économiste Benoît Boussemart, en octobre 2015. | Benoît Boussemart/Editions Estaimpuis 2015
A la tête des activités médias du groupe, notamment propriétaire des journaux Libération et L’Express, figurait une mystérieuse société panaméenne nommée Jenville SA… qui apparaît dans les « Panama papers ». Il n’en fallait pas plus pour susciter un véritable emballement médiatique autour d’une supposée fraude fiscale de Patrick Drahi.
La réalité narrée par les documents internes de Mossack Fonseca est tout autre. Jenville SA est une société panaméenne enregistrée au mois d’août 1994 par l’étude Wildgen, Ravarani et Ries, dont Patrick Drahi a été le client et qui serait « le plus grand cabinet d’avocats luxembourgeois », aux dires d’une employée de Mossack Fonseca.
Jenville, un actionnaire « de passage »
Pourtant, les « Panama papers » ne nous apprennent rien de neuf sur le dossier. Aucun document n’associe directement Jenville SA à Patrick Drahi. Cette société n’a officiellement pas de propriétaire connu, grâce au système opaque des actions aux porteurs, un mécanisme qui permet l’anonymat des actionnaires. En réalité, elle est administrée depuis sa création par des employés de l’étude Wildgen, selon les procurations générales consultées par Le Monde. Le registre du commerce luxembourgeois montre qu’elle a été utilisée comme actionnaire ou commissaire aux comptes de nombreuses sociétés luxembourgeoises liées à l’étude Wildgen entre 1996 (avec Recamier SA) et 2013 (avec Cote d’Emeraude SA). Tout semble suggérer que Jenville était donc l’un des véhicules utilisé par le cabinet pour les montages financiers de ses clients, même si Me François Brouxel, l’un des patrons du département d’affaires du cabinet, n’a pas répondu aux sollicitations du Monde pour le confirmer.
Ce n’est donc que comme actionnaire « de passage » que Jenville est entrée le 9 décembre 2008 au capital d’Altice IV, la branche média de l’empire Drahi, basée au Luxembourg. D’ailleurs, les deux autres actionnaires d’Altice IV étaient à cette époque Pierre Metzler et François Brouxel, deux avocats du cabinet Wildgen. Selon un communiqué diffusé le 4 avril par Patrick Drahi, Jenville « a été utilisée sur des opérations accessoires pour des raisons de stricte confidentialité et dans des conditions parfaitement légales », mais sans « aucune incidence fiscale ». En somme, Jenville n’aurait été qu’un actionnaire prête-nom pour ne pas faire apparaître le nom de Patrick Drahi. L’entourage de l’homme d’affaires n’a pas souhaité préciser pourquoi.
Finis, les paradis fiscaux ?
Le communiqué de M. Drahi indique que l’histoire panaméenne d’Altice IV s’est arrêtée en décembre 2010, quand Jenville en est sortie du capital. Le dossier d’Altice IV au registre du commerce luxembourgeois, muet sur cette période, ne permet pas de confirmer la date. En revanche, il est certain qu’au 29 septembre 2015, Jenville SA n’était plus au capital de la société. Dans l’intervalle, lui a succédé comme actionnaire, dans Altice IV, la propre structure offshore de Patrick Drahi, basée à Guernesey (îles anglo-normandes) : Uppernext Limited Partnership Incorporated.
D’un paradis fiscal l’autre, la donne n’avait guère changé pour Patrick Drahi, toujours accusé par l’un des syndicats de journalistes de L’Express, le SNJ, de domicilier ses activités médias dans une coquille offshore afin d’« alléger [s] a fiscalité » et de « faire circuler l’argent à l’abri des regards ». La pression aurait-elle eu raison de ce montage ? En janvier 2016, dans le cadre de l’enquête « Panama papers », l’entourage de Patrick Drahi a fait savoir au magazine Cash investigation (France 2) qu’Uppernext n’était plus au capital d’Altice IV. Une affirmation qu’il est trop tôt pour vérifier au registre du commerce du Luxembourg, cette information n’y paraissant pas encore.
Reste que le simple fait d’avoir choisi le Luxembourg pour domicilier Altice IV offre déjà des avantages fiscaux indéniables à Patrick Drahi.