Alexandre de Juniac lors de l'ouverture de l'assemblée générale d'Air France-KLM, à Paris, le 21 mai 2015. | ERIC FEFERBERG / AFP

« C’est ma décision » : Alexandre de Juniac a choisi de sauter de l’avion en plein vol. Le PDG d’Air France-KLM quittera la compagnie franco-néerlandaise cet été pour diriger l’Association internationale du transport aérien (IATA). Il prendra ses fonctions au plus tard le 1er août, le temps pour le groupe de publier ses résultats semestriels et, surtout, de lui trouver un successeur. La nouvelle, inattendue, a déplu à la Bourse : à l’ouverture mercredi 6 avril, le cours de l’action Air France-KLM chutait de 7 %.

Ancien cadre dirigeant du groupe Thales puis directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, M. de Juniac était arrivé en octobre 2011 aux commandes d’Air France, où il avait succédé à Pierre-Henri Gourgeon. Deux ans plus tard, en juillet 2013, il était nommé PDG d’Air France-KLM, dont l’Etat français détient 17,6 %, pour succéder à Jean-Cyril Spinetta.

Air France : quelles suites pour la compagnie après la démission de son PDG ?
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Une « décision mûrie »

Son mandat avait été renouvelé, de haute lutte, en mai 2015. Au gouvernement, échaudé par la longue grève des pilotes à la rentrée 2014, certains songeaient à le remplacer. A l’époque, Guillaume Pepy, le président du directoire de la SNCF, s’était positionné activement pour remplacer l’éventuel sortant.

D’où la surprise de voir M. de Juniac quitter le cockpit moins d’un an plus tard, de son plein gré cette fois. A 53 ans, il paraît en effet bien jeune pour prendre la tête de IATA, un poste réservé jusqu’ici à des dirigeants en fin de carrière, même s’il s’agit du plus beau « bâton de maréchal » de la profession, basé à Genève, doté d’une rémunération réputée plantureuse. Lui assure que son départ intervient « à un moment où Air France-KLM est bien redressé. Le groupe a retrouvé une position de premier plan ». Premier Français à la tête de IATA, il s’avoue « très fier de cet honneur ».

Selon un proche, M. de Juniac aurait été approché fin janvier par l’organisme international, qui regroupe 264 compagnies aériennes, soit 83 % du transport aérien dans le monde. Cette association a notamment généralisé les billets électroniques. L’intéressé parle d’une « décision mûrie ». Ces dernières semaines, il ne cachait pas son ras-le-bol à ses interlocuteurs.

« Ses relations avec les syndicats, le gouvernement français et les Néerlandais étaient tendues. Il avait l’impression qu’il ne pourrait pas procéder à la deuxième étape de la transformation d’Air France-KLM. A cet égard, la baisse des prix du pétrole, qui a redonné de l’air à court terme, enterre tout projet de réforme », relate un proche. Les dirigeants néerlandais de KLM se seraient ainsi opposés à des projets visant à rapprocher des filiales low cost ou à gérer de façon centralisée la trésorerie des deux compagnies sœurs.

Dirigeant réputé hautain

De leur côté, les pilotes ne regretteront pas un dirigeant réputé hautain et avec qui le courant n’est jamais passé. « Quelle belle journée ! », s’est ainsi exclamé un commandant de bord à l’atterrissage mardi soir, en apprenant le départ de son patron. Le passage de M. de Juniac, à la tête d’Air France puis d’Air France-KLM, a été, il est vrai, marqué par une succession de plans de départs et par la plus longue grève des pilotes de l’histoire de la compagnie.

Deux semaines très coûteuses de conflit en septembre 2014, pendant lesquelles le ministre du transport, Alain Vidalies, s’était désolidarisé de la direction. A cela s’est ajouté, en octobre 2015, l’épisode de la « chemise déchirée », image choc qui a fait le tour du monde de deux cadres d’Air France dépenaillés, après une rencontre musclée lors d’un comité d’entreprise à Roissy.

« Ce n’est pas le partenaire le plus simple que nous ayons eu, estime Véronique Damon, secrétaire générale du Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL). Il est arrivé en proposant de dénoncer tous nos accords. Avec lui, le dialogue social n’était pas toujours serein. »

Les pouvoirs publics non plus ne jouent pas les hypocrites. « On ne cache pas notre satisfaction, même si le timing est très mauvais, en pleine négociation avec les pilotes », réagit un proche du gouvernement. M. de Juniac avait téléphoné lundi au premier ministre, Manuel Valls, pour l’avertir de sa décision, qu’il a révélée lors d’un conseil d’administration à 16 heures le lendemain.

Un chasseur de têtes mandaté

L’Etat français et les pilotes, en tout cas, s’accordent sur le prochain casting : ils veulent un « manageur social », pas un cost-killer. Le profil recherché par le comité des nominations serait celui d’un « capitaine d’industrie international, qui sait négocier des partenariats avec des compagnies étrangères ». Un chasseur de têtes a déjà été mandaté. Plusieurs noms, tous venus de l’extérieur, circulent d’ores et déjà pour prendre la tête du groupe.

Jean-François Dehecq, président du comité des nominations d’Air France-KLM, aurait coché celui de Fabrice Brégier, PDG d’Airbus. Ce n’est pas la première fois que son nom circule, car « c’est un patron que l’on s’arrache », relève-t-on chez l’avionneur européen. Mais pour présider la compagnie franco-néerlandaise, M. Brégier devrait consentir à un gros sacrifice financier. En 2015, Alexandre de Juniac n’a touché « que » 700 000 euros, non sans avoir essuyé un avis défavorable de l’Etat, qui vote contre toutes les rémunérations supérieures à 450 000 euros. Thierry Antinori, cité par La Tribune, actuel numéro deux d’Emirates, ancien d’Air France, serait dans la même situation.

De même, M. Pepy pourrait être à nouveau en piste. « Si je suis candidat à quelque chose, c’est à faire mon travail à la SNCF et je peux vous dire qu’en ce moment il y en a », a assuré le dirigeant sur Radio Classique, mercredi 6 avril. Il avait tout de même adressé une pique à M. de Juniac quelques jours auparavant. « Ma responsabilité, c’est qu’il ne nous arrive pas ce qui est malheureusement arrivé ces dernières années à Air France. Autrement dit, nous, nous prenons le tournant du low cost avant même que la concurrence soit là », avait déclaré le dirigeant de la SNCF, dimanche 3 avril, lors du « Grand Rendez-Vous Europe 1-Le Monde-i-Télé ».

A la SNCF, Florence Parly, ancienne cadre dirigeante d’Air France, est également citée, mais la présence de son mari, Martin Vial, à la tête de l’Agence des participations de l’Etat compromet ses chances. Sachant que l’éventualité d’une nomination de MmeParly ne réjouit guère les syndicats de pilotes de la compagnie. « C’est la femme qui a tué le cargo d’Air France. Elle peut tuer le reste de la compagnie », ironise un syndicaliste.

Philippe Boisseau, ex-numéro deux de Total, qui vient de quitter la compagnie pétrolière a également le profil. De même que Nicolas Dufourcq, patron de la banque publique Bpifrance, ex-Cap Gemini, ou encore Bruno Mettling, chez Orange. De son côté, Alexandre Bompard, le redresseur de la FNAC, a démenti tout intérêt pour le poste.