Berlin accepte la demande d’Ankara de poursuites pénales visant une satire anti-Erdogan
Berlin accepte la demande d’Ankara de poursuites pénales visant une satire anti-Erdogan
Le Monde.fr avec AFP
La chancelière allemande a annoncé parallèlement vouloir supprimer la disposition permettant une telle procédure.
La chancelière allemande a tranché. Angela Merkel a décidé, vendredi 15 avril, de donner suite à la demande de poursuites pénales réclamée par la Turquie contre un humoriste allemand ayant insulté le président turc, Recep Tayyip Erdogan.
Cette affaire avait placé la chancelière allemande dans une situation délicate, partagée entre le fait de s’en prendre à la liberté d’opinion – en se mettant à dos une bonne partie des Allemands – ou prendre le risque d’ouvrir une crise avec la Turquie, son partenaire privilégié dans la lutte contre l’afflux de réfugiés en Europe.
Perdante dans les deux cas, Angela Merkel a tenté un compromis en annonçant vouloir supprimer la disposition permettant de réclamer des poursuites pénales dans ce genre d’affaire.
Trois ans de prison encourus
« Le gouvernement fédéral va accorder son autorisation dans la présente affaire », a annoncé Angela Merkel. « Je veux vous informer qu’indépendamment de cette procédure, le gouvernement est d’avis qu’on peut se dispenser de l’article 103 du code pénal », a-t-elle dit, promettant sa suppression pour 2018.
L’article en question punit les insultes contre un représentant d’un Etat étranger, délit passible de trois ans de prison. Parallèlement, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déposé une autre plainte pour injure, non en tant que représentant d’un Etat étranger mais en tant que simple personne privée.
Mme Merkel a souligné que l’autorisation liée à l’article 103 ne signifiait en aucun cas qu’elle jugeait le satiriste coupable. « Dans un Etat de droit, donner une autorisation pour des poursuites pénales pour le délit particulier d’insulte envers des organes ou de représentants d’un Etat étranger n’est pas une condamnation a priori des personnes concernées ni une décision sur les limites des libertés de l’art, de la presse et d’opinion », a-t-elle commenté, assurant que « les procureurs et les tribunaux auront le dernier mot ».
Tester les limites à la liberté d’expression
La genèse de la polémique remonte au 17 mars. Ce jour-là, la chaîne publique régionale allemande NDR diffuse un clip de deux minutes se moquant de M. Erdogan, « le boss du Bosphore », et critiquant sa dérive autoritaire. Le président turc apprécie peu, et va jusqu’à convoquer l’ambassadeur d’Allemagne à Ankara.
L’humoriste revient à la charge le 31 mars. Dans une émission, Jan Böhmermann insulte M. Erdogan, le qualifiant, entre autres, de « pédophile » et d’« enculeur de chèvre ». Dans la foulée, le comique explique à l’antenne savoir qu’il va au-delà de ce que le droit allemand autorise concernant la liberté d’expression.
Ankara avait réclamé officiellement à l’Allemagne de permettre ces poursuites contre le satiriste. Cette affaire est venue empoisonner les relations germano-turques à l’heure où Ankara s’est imposé comme le partenaire crucial des Européens pour juguler l’afflux des migrants en Europe. Certains médias ont estimé que Mme Merkel dans ce contexte ne voulait pas froisser la Turquie. Le satiriste a lui reçu le soutien de nombreuses personnalités du monde des médias et de la culture.