Les monarchies du Golfe impatientes de tourner la page Obama
Les monarchies du Golfe impatientes de tourner la page Obama
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Le voyage d’adieu de Barack Obama en Arabie saoudite n’a guère soulevé d’émotion dans le royaume.
Barack Obama avec le prince d'Abou Dhabi, jeudi 21 avril. | JIM WATSON / AFP
C’est un euphémisme : le voyage d’adieu de Barack Obama en Arabie saoudite n’a guère soulevé d’émotion dans le royaume. La quatrième et dernière venue du président des Etats-Unis chez les Saoud, mercredi 20 et jeudi 21 avril, à huit mois de son départ du pouvoir, devait être l’occasion, officiellement, de resserrer les liens entre ces deux alliés historiques.
Dans les faits, ce déplacement a surtout montré combien les deux pays se sont éloignés au cours des huit années écoulées. Les élites saoudiennes et leurs partenaires et vassaux du Golfe, consternés, pour la plupart, par le rapprochement des Etats-Unis avec l’Iran, leur rival pour la suprématie régionale, se projettent déjà vers l’après-Obama.
Signe qui ne trompe pas, l’arrivée du président des Etats-Unis à Riyad n’a pas été retransmise en direct à la télévision saoudienne, contrairement à sa précédente visite. A sa descente d’avion, le chef d’Etat américain a été reçu par le gouverneur de Riyad, alors que les monarques de la péninsule, conviés à une réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à laquelle M. Obama a assisté jeudi, ont été accueillis par le roi Salman en personne.
« C’est une visite qui n’a servi à rien, le président ne pouvait prétendre régler tous les problèmes accumulés ces dernières années, alors qu’il s’apprête à céder le pouvoir, grommelle Jaber Al-Siwat, un homme d’affaires saoudien dont les vues reflètent fidèlement celles de la famille royale. Nos regards sont désormais tournés vers l’élection présidentielle américaine, en espérant que celui qui en sortira vainqueur sera plus à l’écoute de nos préoccupations », ajoute cet entrepreneur à succès, qui, sur Twitter, a qualifié M. Obama de « lobbyiste de l’Iran ».
Egypte, Syrie, Iran
La défiance des Saoudiens à l’égard de l’hôte de la Maison Blanche est née du lâchage par Washington de leur protégé égyptien, Hosni Moubarak, en janvier 2011, lors du soulèvement de la place Tahrir. Elle s’est envenimée à l’été 2013, lorsque Barack Obama a renoncé à la dernière minute à bombarder le régime syrien, en représailles à l’attaque chimique contre la banlieue de Damas. Puis elle a éclaté au grand jour, lors de la signature de l’accord intérimaire sur le dossier nucléaire iranien, en novembre 2013, d’autant plus considéré comme une trahison qu’il avait été négocié à l’insu de Riyad.
« Pour Obama, le problème central au Moyen-Orient est la lutte contre le groupe Etat islamique (EI). Pour la dynastie des Al-Saoud, c’est l’Iran », résume Simon Henderson, analyste au Washington Institute for Near East Policy, dans une tribune publiée dans Foreign Policy. « Obama n’a pas su agir dans l’intérêt des Etats-Unis et de la paix mondiale, assure Ali Al-Nuaimi, président de l’université d’Abou Dhabi. La décision de ne pas agir en Syrie a créé un vide dont nous souffrons tous. Espérons que la prochaine administration saura corriger ces erreurs. »
Dans sa conférence de presse à l’issue de la réunion du CCG, jeudi 21 avril, Barack Obama a égrené les formules obligées. Il a réitéré que Washington et ses partenaires du Golfe étaient « unis » pour « détruire » les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) ; dénoncé « les activités déstabilisatrices » de l’Iran ; souhaité que celle-ci « joue un rôle responsable dans la région ». Et, enfin, il a appelé les belligérants au Yémen — où Riyad intervient militairement — à se conformer à la trêve proclamée le 11 avril, afin que les pourparlers, prévus à Koweït, puissent enfin s’ouvrir.
De vifs échanges avec le roi Salman
Mais, d’après le récit qu’en a fait le New York Times, la tonalité de l’entretien de M. Obama avec le roi Salman, la veille, était beaucoup moins consensuelle. Selon le quotidien américain, le président a incité son hôte à s’ouvrir davantage en direction de l’Iran, quand bien même Riyad considère son voisin comme la source principale des maux du Proche-Orient.
Loin de s’excuser pour ses propos dans le magazine américain The Atlantic, qui ont causé beaucoup d’émoi dans le royaume, M. Obama a réitéré, devant le souverain saoudien, l’un des principaux points développés dans cette interview, à savoir que les pays du Golfe doivent moins se reposer sur les Etats-Unis pour leur sécurité.
L’échange le plus vif, toujours selon le New York Times, a concerné les droits humains. Le leader américain a critiqué les décapitations dont le royaume est coutumier, et le roi a répliqué en défendant le système judiciaire saoudien.
Dans les palais du Golfe, surtout en Arabie saoudite et dans les Emirats arabes unis, les principaux instigateurs du front anti-Iran, on soupèse donc les chances d’une réorientation de la diplomatie américaine après le scrutin de novembre. « Je m’attends à un ajustement, quel que soit le vainqueur, confie, sous couvert de l’anonymat, une source officielle émiratie. Pas de changement radical, pas d’aventurisme à la mode George Bush, mais un effort au moins pour rétablir le rôle traditionnel des Etats-Unis au Proche-Orient. »
Des deux favoris des primaires républicaine et démocrate, Donald Trump et Hillary Clinton, la seconde a généralement la préférence des dirigeants du Golfe. « Trump est trop bizarre, trop imprévisible, annonce Jaber Al-Siwat. Hillary est la plus compétente en matière de politique extérieure. Elle critique l’Iran et pousse pour l’instauration d’une zone d’interdiction aérienne en Syrie. Elle ferait une bonne présidente. »