Michel Temer, un intérim à risque en attendant la destitution de Dilma Rousseff
Michel Temer, un intérim à risque en attendant la destitution de Dilma Rousseff
Par Claire Gatinois (Brasilia, envoyée spéciale)
Le vice-président du Brésil va prendre la place de la présidente durant les 180 jours de son procès.
Dilma Rousseff et Michel Temer en mars 2016 au palais du Planalto. | Eraldo Peres / AP
Son entourage le dit prêt « au sacrifice ». Michel Temer, vice-président de Dilma Rousseff, devait s’installer, dès jeudi 12 mai, au palais du Planalto, à Brasilia, à la place de son ex-alliée, pour redresser un pays en déroute. Ainsi en ont décidé les sénateurs, qui, dans la nuit de mercredi à jeudi, ont approuvé la procédure d’impeachment (« destitution ») de la présidente, suspendue pendant 180 jours, le temps de son procès. L’homme, pur produit du système politique brésilien, fin connaisseur des intrigues parlementaires, décrit par l’entourage de la présidente brésilienne comme un « comploteur » et un « traître », se croyant sur le trône depuis des mois déjà, s’apprête à atteindre la plus haute marche du pouvoir.
Un quasi inconnu à la tête d’un pays en crise
Sa fonction n’est à ce stade que celle d’un président par intérim. Il lui faudra attendre encore six mois, peut-être moins, et le vote final du Sénat, pour espérer devenir officiellement président du Brésil. Mais son sacre est déjà dans les esprits d’une grande partie des observateurs, persuadés que ni Dilma Rousseff ni le Parti des travailleurs (PT, gauche) ne parviendront à retourner la tendance. Président du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), Michel Temer ne dépassait pas jusqu’ici 3 % des intentions de vote.
C’est cet inconnu du grand public, fils d’immigrés libanais aux manières délicates, qui incarne l’espoir d’une sortie de crise. Michel Temer sait qu’il hérite d’une situation dramatique. Le pays traverse une récession historique (– 3,8 % en 2015), le chômage est au plus haut (10,2 % au premier trimestre), l’inflation (plus de 9 %) mine le pouvoir d’achat, les épidémies de Zika et de grippe H1N1 font des ravages et la rue est en colère contre un monde politique gangrené par la corruption.
Des décisions difficiles à prendre
Ses défis sont immenses, mais « Michel Temer a un atout. Il bénéficie d’un “vote de confiance’’ de la part des marchés financiers », observe André Nassif, professeur d’économie à l’université fédérale Fluminense. En témoignent l’envolée de la Bourse et de la monnaie à l’approche de l’impeachment et leur plongeon quand cette perspective s’éloignait.
L’ancien président de la Chambre des députés dispose d’une autre carte maîtresse : sa connaissance approfondie du Congrès, de ses protagonistes et de ses coulisses. Une expertise qui manquait cruellement à Dilma Rousseff, cruciale pour faire accepter des mesures impopulaires.
Le futur président doit faire le « sale boulot » : réduire la dette publique et le déficit budgétaire. « Michel Temer veut restaurer la crédibilité du pays. Il y aura des coupes, une réduction des ministères et des dépenses, une baisse des investissements publics. Le pays vit à un moment où il doit faire des sacrifices. Michel Temer ne sera pas populaire à court terme, mais plus tard, l’Histoire se souviendra », explique son entourage.
Michel Temer, 75 ans, prend l’interim de Dilma Rousseff. | UESLEI MARCELINO / REUTERS
Virage libéral et sacrifices annoncés
Celui qui fut deux fois coéquipier de la candidate du Parti des travailleurs (PT, gauche) entend opérer un virage libéral pour faire du Brésil, réputé pour son protectionnisme et sa bureaucratie, un territoire business friendly bienveillant avec les entrepreneurs et les investisseurs. Pour renflouer les caisses de l’Etat, il est question de privatisations et de concessions, d’une réforme des retraites, d’une simplification du système fiscal et d’une réduction drastique d’une mesure sociale emblématique du PT, la Bolsa Familia (« bourse famille ») versée aux plus miséreux.
Son équipe n’est pas encore tout à fait prête, mais le nom d’Henrique Meirelles, ancien banquier central lors des deux mandats de Lula, comme ministre de l’économie, est avancé par certains. Un choix consensuel.
Une prise de fonction dans un climat de défiance
Le reste sera plus délicat. M. Temer est tenu de distribuer des ministères à ceux qui ont contribué à son ascension, parfois au mépris de leurs compétences. Il affronte aussi les premières résistances sur la baisse du nombre de ministères et a pris envers le patronat de Sao Paulo l’engagement de ne pas augmenter les impôts, une promesse qui semble difficilement tenable. « A court terme, Michel Temer peut s’en sortir. Il peut stabiliser les choses. Mais, à long terme, il n’a pas de projet. Pas de plan pour réindustrialiser le Brésil et le défaire de sa dépendance aux matières premières », commente M. Nassif.
Michel Temer est-il l’homme de la situation ? Sera-t-il capable de réconcilier une société qui s’est déchirée lors du lancement de la procédure de destitution ? A 75 ans, trois fois président de la Chambre des députés, le futur chef de l’Etat appartient à un monde politique dont une grande partie des Brésiliens ne veut plus. Un monde où règnent l’entre-soi et les arrangements avec la loi. Le vice-président est lui-même susceptible de faire l’objet d’une demande d’impeachment, accusé d’une partie des torts reprochés à Dilma Rousseff. Il est aussi cité dans l’enquête Lava Jato (« lavage express ») qui a mis au jour un tentaculaire réseau de corruption mêlant le groupe public Petrobras, des entreprises du BTP et des dirigeants politiques.