Jean-Marc Ayrault face au casse-tête des Rohingyas de Birmanie
Jean-Marc Ayrault face au casse-tête des Rohingyas de Birmanie
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Le ministre des affaires étrangères, en visite en Birmanie, a évité de prononcer en public le nom de cette minorité ethnique musulmane persécutée, accédant ainsi à la demande de son homologue, Aung San Suu Kyi.
Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, avec la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, le 17 juin à Naypyidaw, en Birmanie. | Aung Shine Oo / AP
La visite que vient d’effectuer en Birmanie Jean-Marc Ayrault est, selon les mots du ministre des affaires étrangères, la marque de la « confiance » du gouvernement français dans la transition démocratique incarnée par la victoire électorale, en novembre 2015, de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). C’est la première visite dans ce pays d’un haut responsable français depuis l’entrée en fonctions du nouveau gouvernement, en avril.
Alors qu’il venait de s’entretenir, vendredi 17 juin, avec son homologue, Aung San Suu Kyi, de facto chef du gouvernement, M. Ayrault a précisé au Monde, par téléphone depuis la capitale, Naypyidaw, que la Prix Nobel de la paix lui avait fait part de son souhait de voir la communauté internationale manifester de la « compréhension » à l’égard de son action.
La formule de la dirigeante birmane témoigne de son agacement face aux critiques dont elle est l’objet à propos de la question des musulmans Rohingya de Birmanie, persécutés par le précédent régime, pour la plupart apatrides, et que même l’actuel gouvernement appelle « Bengalis », pour bien marquer leur origine ethnique « étrangère ».
« Mme Suu Kyi a insisté sur le fait qu’elle souhaite que l’on reconnaisse davantage ce qu’elle fait en matière de droits de l’homme », a ajouté M. Ayrault. La Prix Nobel de la paix, qui sait à quel point la question rohingya est facteur de division et de violence dans un pays où l’opinion publique fait preuve d’une islamophobie virulente, a souvent été critiquée pour ne pas défendre publiquement les musulmans.
Pas en public
« Devant elle, j’ai utilisé le terme de Rohingya, car c’est comme cela que l’on dit en France, mais je n’emploierai pas ce mot en public : je sais à quel point c’est un sujet sensible et je ne suis pas là pour donner des leçons et compliquer les choses », a précisé Jean-Marc Ayrault. Le choix français tranche avec celui des Américains : lors de la visite en Birmanie du secrétaire d’Etat, John Kerry, en mai, ce dernier avait utilisé en public à plusieurs reprises le terme honni. Aung San Suu Kyi avait auparavant « conseillé » à l’ambassadeur des Etats-Unis de ne pas employer ce nom…
Jean-Marc Ayrault a également rencontré le président Htin Kyaw, ainsi que le chef des armées, le général Min Aung Hlaing. Le chef de la diplomatie française qui, lors d’une conférence de presse, avait insisté sur le fait que le « pouvoir civil doit être au-dessus de l’armée », a précisé au Monde que le général lui avait dit que, « sur certains sujets, son action est conditionnée à l’approbation du pouvoir civil ». Sous-entendu : sur d’autres sujets, ce n’est pas le cas, notamment celui des combats avec plusieurs guérillas ethniques. C’est là l’un des enjeux-clés de l’équilibre des forces entre gouvernement et armée dans une Birmanie postdictatoriale.