A l’entrée du sanctuaire de Lourdes, gardée par les forces de sécurité, le 13 août 2016. | Megane De Amorim, pour Le Monde

« Que la vierge vous garde », murmure chaleureusement une retraitée en pèlerinage à Lourdes au militaire qui patrouille dans le sanctuaire. A elle, comme aux autres qui lui ont dit « mon mari était militaire aussi » et « vous n’avez pas trop chaud dans vos chaussures ? », il répond invariablement, avec le sourire : « D’accord, merci. »

Il fait partie des 508 agents déployés à Lourdes pour le 15 août, mêlant policiers, gendarmes, militaires et agents de sécurité privée, dans un contexte où la menace terroriste « reste extrêmement élevée », a rappelé le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en inspectant samedi 13 août le dispositif de sécurité exceptionnel mis en place.

« Un sanctuaire n’est pas fait pour être un bunker »

Pour éviter un attentat, quelques semaines après l’assassinat du père Hamel dans l’église de Saint-Etienne de Rouvray, la sécurité a été renforcée autour du sanctuaire de Lourdes, vers lequel convergent des milliers de pèlerins depuis jeudi pour les célébrations de l’Assomption de la Vierge Marie.

Un talkie-walkie à la main, Philippe Subercazes, adjoint à la sécurité de la ville, interpelle samedi les conducteurs qui ne respectent pas les interdictions de circuler. En pointant du doigt une des trois entrées ouvertes du sanctuaire, il note fièrement : « Regardez, chaque personne est fouillée avant de pénétrer dans le sanctuaire, et là, on a mis des poubelles transparentes pour éviter que quelqu’un y cache un colis piégé. »

Jean-Michel Veysseyre, chef de la sécurité au sanctuaire de Lourdes, saluant les militaires, le 14 août 2016. | Megane De Amorim, pour Le Monde

Mais le système a ses failles. Léa, une habitante de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), à une dizaine de kilomètres de Paris, est en fauteuil roulant. Opérée neuf fois du genou après de multiples tumeurs, elle revient chaque 15 août depuis trois ans : « Je suis déjà miraculée. J’ai guéri de mon genou. Mais je reviens encore, car je voudrais marcher correctement, comme avant. »

Cette année, pour la première fois, elle a fait venir sa mère gravement malade de Centrafrique. Et elles deux, assises dans des fauteuils roulants, ont failli échapper aux contrôles des agents de sécurité, en empruntant le passage des sorties à toute vitesse, pressées d’assister à la conférence « Guérir dans la foi ».

Philippe Subercazes l’admet : « Le dispositif ne pourra jamais être parfait. Le sanctuaire est facilement accessible par un tas d’endroits et les grillages ne sont pas très hauts. Un sanctuaire n’est pas fait pour être un bunker : il a été fait pour accueillir des gens. Donc le risque zéro n’existe pas. »

Cependant, la maire, Josette Bourdeu, indique n’avoir « jamais imaginé de supprimer le pèlerinage national », malgré la pression de la préfecture et d’Hubert Weigel, préfet chargé de la sécurité des grands rassemblements en France. « On nous a prévenus que la maire serait considérée responsable si quelque chose arrivait dans la ville, se souvient Philippe Subercazes. On nous a avertis qu’il y avait cinq magistrats d’astreinte, pour juger tout de suite de nos responsabilités s’il se passe quelque chose. »

« Eviter les désistements »

Les responsables catholiques ont dû s’accommoder de la présence militaire plus élevée que les années précédentes. « Maintenant c’est presque courant, note Thierry Castillo, économe diocésain de Lourdes. Il y a des hommes en armes aux abords des mosquées, des synagogues. Cela n’impacte pas la démarche du pèlerin. » L’évêque de Lourdes, Monseigneur Nicolas Brouwet, partage ce fatalisme : « S’il y a de la sérénité au sanctuaire, c’est parce qu’il y a un fort dispositif de sécurité. »

D’ailleurs, il n’envisageait pas un pèlerinage habituel, après l’attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui a ouvert une brèche dans le corps catholique. « Après cet attentat, ma priorité était d’éviter les désistements et de maintenir le pèlerinage, raconte le père Fabien Lejeusne, directeur du pèlerinage national. J’ai envoyé un mail aux pèlerins, pour leur dire qu’on prenait les problèmes de sécurité au sérieux, et qu’il était plus que jamais nécessaire de venir à Lourdes. Il fallait prier pour la paix en France. » D’après lui, de nombreux pèlerins ont répondu à son appel, et une vague d’inscriptions a suivi.

Contrôles de sacs à l’entrée du sanctuaire de Lourdes, le 14 août 2016. | Megane De Amorim, pour Le Monde

Les premiers arrivés accueillent d’ailleurs favorablement la présence de soldats et d’agents. Odile, assise à l’ombre devant la basilique, était déjà venue pour le pèlerinage national il y a soixante ans. Elle se rappelle : « A l’époque, il n’y avait qu’un seul garde champêtre pour tout le sanctuaire. Ça a bien changé ! ». Chantal, ivoirienne arrivée avec son mari, ne s’en offusque pas. « Nous, on a l’habitude : en Côte d’Ivoire aussi il y a des militaires dans les églises »; dit-elle en riant.

Des moyens supplémentaires demandés jusqu’en octobre

Les commerçants sont en revanche agacés par certaines décisions. Annick, gérante de Mia et Cathy, attend les bras croisés devant sa boutique vide : « D’habitude, on a un grand parking de plus de cent places juste à côté qui nous ramène beaucoup de clients ; avec la fermeture du parking, il n’y a plus personne ! » Un peu plus haut dans la rue Sainte-Marie, une réceptionniste de l’hôtel Sainte Rose soupire : « A cause des barrages qu’ils ont installés, je perds trente minutes à chaque fois pour expliquer aux clients où passer pour arriver jusqu’à l’hôtel. »

La gronde ne devrait pas s’apaiser avec la décision de la mairie de prolonger certaines mesures de sécurité jusqu’à la fin de la saison des pèlerinages, en octobre prochain. La maire, Josette Bourdeu, a demandé samedi à Bernard Cazeneuve des moyens supplémentaires pour assurer la sécurité des prochains mois : « Lourdes ne s’arrête pas au pèlerinage national, je l’ai dit au ministre : je veux avoir des renforts humains de l’Etat toute la saison des pèlerinages. »

Son adjoint à la sécurité, Philippe Subercazes, développe : « A Lourdes, si ça pète, on est morts. Toute notre économie repose sur le tourisme cultuel. » Pour Jean-Michel Larroche, chargé du développement économique de la ville, « 85 % des emplois relèvent du secteur tertiaire à Lourdes, qui est la deuxième cité hôtelière de France, après Paris ».