La fermeture de Guantanamo : le serpent de mer d’Obama
La fermeture de Guantanamo : le serpent de mer d’Obama
Par Marie Boscher, Romain Geoffroy
Le Pentagone a annoncé lundi avoir effectué son transfert de prisonniers le plus important en libérant quinze prisonniers. Pourtant, 61 détenus restent toujours enfermés sur le site cubain.
Une tour de garde abandonnée, dans le camp de Guantanamo, le 21 mai. | ? Lucas Jackson / Reuters / REUTERS
Le Pentagone a annoncé lundi 15 août avoir transféré quinze détenus de la prison militaire de Guantanamo aux Emirats arabes unis. Il s’agit du transfert de prisonniers le plus important survenu sous l’administration Obama. Mais la promesse du président américain de fermer cette prison vivement critiquée risque bien de ne pas se produire avant la fin de son mandat en janvier 2017.
Qui sont les détenus restants ?
Depuis l’ouverture du centre le 11 janvier 2002, 780 hommes ont été détenus au total dans le camp de Guantanamo Bay au sud de l’île de Cuba. Aujourd’hui, il reste 61 personnes retenues par le département de la défense américaine, selon les chiffres publiés par le New York Times dans son projet « The Guantanamo Docket », une base de données sur la prison construite sur une compilation de documents officiels et d’articles de la presse internationale sur le sujet.
Toutes ont été emprisonnées au nom de la guerre contre le terrorisme à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Par décret présidentiel, George W. Bush avait fait des détenus de Guantanamo des « combattants illégaux », les rattachant par la suite à des commissions militaires. Ils ne sont plus des prisonniers de guerre, comme définis par la convention de Genève, et dépendent de ces juridictions d’exception les privant du droit de contester leur détention.
Sur les 61 prisonniers actuels de Guantanamo, vingt sont immédiatement libérables, dont dix-neuf en attente d’un pays d’accueil. Dix autres ont été ou seront jugés devant les commissions militaires, notamment cinq hommes accusés d’avoir organisé les attentats du World Trade Center. Les 31 restants entrent dans la catégorie des « détenus illimités » (« indefinite detainees »), considérés comme trop dangereux pour être libérés. Eux ne peuvent être jugés : leurs aveux ayant été obtenus par la torture, ils ne sont pas recevables devant un tribunal.
La majorité des détenus actuels sont de nationalité yéménite, avec 12 hommes sur 28 éligibles à un transfert. Le Yémen fait partie des trois plus gros « pourvoyeurs » de détenus de Guantanamo avec 115 ressortissants enfermés, juste derrière l’Afghanistan (220 personnes) et l’Arabie saoudite (135). A l’inverse de ces derniers, le Yémen ravagé par les conflits ne peut pas accueillir ses détenus transférés, alors orientés vers l’Arabie saoudite ou encore les Emirats arabes unis.
Combien de détenus ont déjà été transférés ?
Lors de l’investiture de Barack Obama en 2009, on comptait 242 détenus à Guantanamo. Le 22 janvier de cette même année, le président s’engage à fermer le site cubain « dans l’année ». Depuis, l’établissement est toujours ouvert, bien que 181 détenus aient été libérés.
Sous l’administration Bush, 532 prisonniers avaient été libérés de Guantanamo, la plupart par larges groupes vers l’Afghanistan et l’Arabie saoudite.
Que deviennent les détenus transférés ?
Il est difficile de savoir précisément comment sont pris en charge les anciens détenus de Guantanamo une fois transférés dans un autre pays. Ils sont généralement remis en liberté sous conditions de dispositifs de surveillance et de suivi de programmes de réinsertion.
Selon le bureau du directeur du renseignement national, 5 % des détenus libérés sous l’ère Obama se sont réengagés dans des activités « militantes », et 8 % sont suspectés de l’avoir fait. En comparaison, 21 % des détenus libérés sous l’administration Bush avaient repris leurs activités militantes et 14 % étaient suspectés d’avoir repris ces activités.
Quel est le bilan d’Obama sur la fermeture du site ?
Ses promesses
Barack Obama avait promis dès le début de son mandat, en 2009, de fermer le site cubain dans l’année. Lors de sa dernière campagne présidentielle, en 2012, il avait réitéré sa promesse, sans donner de date cette fois. Il apparaît aujourd’hui pratiquement impossible pour l’administration Obama de réussir à tenir cet objectif avant la prochaine élection présidentielle, en novembre.
Le chef de l’Etat est en effet bloqué par le Congrès, à majorité républicaine, vent debout contre la fermeture du camp. Les membres du Congrès craignent que les juridictions fédérales libèrent les prisonniers extrajudiciaires – qui sont détenus à Guantanamo sans charges réelles de la part de la justice américaine – faute de preuves obtenues de façon légale.
Dans un nouveau plan dévoilé en février, l’exécutif a identifié treize sites sur le sol américain susceptibles d’accueillir les détenus jugés non libérables. Le coût total de ce transfert pourrait se situer entre 290 et 475 millions de dollars.
D’un autre côté, certaines voix s’élèvent déjà pour mettre en garde contre la tentation de pérenniser sur le sol américain un système de détention illimitée sans procès, objet de toutes les critiques.
Sa stratégie
La fermeture du site par l’administration Obama avant la fin de son mandat apparaissant aujourd’hui impossible, la stratégie des démocrates est de réduire au minimum le nombre de personnes toujours détenues à Guantanamo, comme l’explique MSNBC. Il serait ainsi plus facile pour le camp Obama d’appeler le Congrès au bon sens budgétaire, les dépenses liées à l’entretien du site étant plus difficiles à justifier avec un nombre très réduit de détenus.