Le Gabon retient son souffle après le scrutin présidentiel
Le Gabon retient son souffle après le scrutin présidentiel
Par Christophe Châtelot (Libreville, envoyé spécial)
La commission électorale retarde l’annonce du décompte définitif des voix. La province du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo, est la dernière à avoir envoyé ses procès-verbaux.
Ils sont là, deux cents peut-être, sans trop savoir ce qui se passe au dehors, sans trop savoir quoi faire, sauf attendre. Il est tôt, en ce matin du mercredi 31 août. Certains dorment sur des chaises en plastique après une nuit de veille. D’autres chantent mollement à la gloire de leur champion, Jean Ping, l’adversaire numéro un du chef de l’Etat sortant, Ali Bongo Ondimba, dans la course à la présidentielle dont l’unique tour de scrutin s’est déroulé samedi.
Depuis trois jours, ils naviguent entre crainte et espoir, convaincus que leur candidat a gagné mais que, si tel est le cas, le président sortant ne l’acceptera pas de bon gré. « Jean Ping, c’est dosé ! », clament-ils (comprendre, dans le langage des quartiers, que la victoire est confirmée). « Nous sommes impatients parce que cette fois l’opposition est unie derrière Jean Ping. Malgré son passé [il fut un pilier du régime Bongo], petit à petit, on l’a pris au sérieux. Si on n’annonce pas sa victoire, les gens vont se lever », craint Alice Mingué, une mère de famille de 53 ans, maraîchère.
Brigades antiémeutes suréquipées
Dans la nuit de mardi à mercredi, ils ont cru, ces militants réunis au QG de campagne de Jean Ping, dans le quartier des Charbonnages, à Libreville, que le dénouement arrivait enfin. Composé de représentants du pouvoir et de l’opposition, le bureau de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cénap), l’organe chargé de l’organisation du scrutin et du décompte final des voix avant l’annonce officielle par le ministère de l’intérieur, se réunissait enfin dans la soirée. On se disait alors que les résultats officiels allaient être annoncés dans la nuit.
Des centaines de militants s’étaient alors réunies au QG, dans un état de surexcitation qui n’annonçait rien de bon. Car, tout autour, sur la voie express qui domine le QG, sous le pont du carrefour des Charbonnages ou à l’opposé de la route, au rond-point de la Démocratie, le pouvoir avait positionné un impressionnant service d’ordre : blindés légers, véhicules de transport de troupes, brigades antiémeutes suréquipées…
Mis à part ce point de fixation militant, le reste de la ville était déserté par la population. Dès le milieu de l’après-midi, les magasins et restaurants avaient tiré leur rideau de fer, passants et voitures se faisaient rares, laissant le terrain aux forces de sécurité qui installaient des chicanes sur les grands axes, quadrillaient la ville. Des militaires en treillis armés de fusils-mitrailleurs patrouillaient à pied.
En 2009, Libreville avait été le théâtre d’émeutes et de pillages à l’annonce de la victoire, controversée, d’Ali Bongo Ondimba, quelques semaines après la disparition de son père Omar, figure tutélaire du Gabon qu’il présida quarante et une années durant. Les résultats avaient été annoncés dans l’après-midi, dans les quartiers populaires où les services de sécurité, insuffisants et mal déployés, avaient été débordés. Quelques jours plus tard, c’est Port-Gentil, la capitale économique, qui s’enflammait, encore plus violemment. Plusieurs personnes furent tuées.
Défendre la victoire « par tous les moyens »
Après un septennat aux affaires, Ali Bongo Ondimba en a sans doute tiré des conclusions pour tenter d’éviter que cela ne se reproduise. D’où ce déploiement massif. Et annoncer nuitamment, opportunément, les résultats, lorsque les Librevillois sont terrés chez eux.
Mercredi matin, cependant, la vie a repris lentement son cours. Le dispositif de sécurité est toujours bien là, mais un peu allégé ; en retrait, moins voyant. Il faut dire qu’il y a le temps avant que la tension ne remonte. Plusieurs heures sans doute.
La séance plénière de la Cénap, ultime étape de compilation des voix, n’a commencé ses travaux qu’aux alentours de 9 heures. En 2009, cette assemblée d’une trentaine de personnes – avec majorité, opposition et aussi les ministères techniques – avait discuté « pendant dix heures », rappelle Casimir Oyé Mba, qui a retiré sa candidature à la présidence pour se rallier à Jean Ping.
A écouter cet ancien premier ministre d’Ali Bongo Ondimba, cela pourrait bien recommencer tant est élevé le niveau de défiance entre deux camps, qui ont déjà revendiqué leur victoire. « Nous demandons l’examen des résultats bureau de vote par bureau de vote et non province par province [il y en a neuf] comme c’est l’usage », explique Casimir Oyé Mba. Une requête rejetée a priori par le président de la Cénap, René Aboghe Ella, qui a déclaré à RFI qu’elle n’était « pas prévue par la loi », ni « raisonnable et irréaliste techniquement » et qu’il faudrait alors « retarder l’annonce finale de plusieurs jours, ce qui risquerait d’entraîner la suspicion ».
La chef des observateurs de l’Union européenne, Maryia Gabriel, avait pourtant demandé, lundi 29 août, « la publication des résultats par bureau de vote pour assurer la confiance dans l’intégrité des résultats finaux et garantir qu’il reflète la volonté populaire ».
Il est sûr que l’examen d’une région fera problème et durer les débats, à moins que les représentants de l’opposition ne claquent la porte de la plénière face à un désaccord insurmontable. Cette province est celle du Haut-Ogooué, le fief de la famille Bongo et de sa communauté ethnique, les Téké. Elle est la dernière à avoir envoyé ses procès-verbaux de vote. « Parce qu’ils ont traficoté les résultats et nous ne laisserons pas passer ça », accuse Casimir Oyé Mba.
L’enjeu est déterminant pour l’opposition. Selon elle, le procès-verbal transmis par cette province accorderait 95,46 % des suffrages à Ali Bongo Ondimba, avec une participation de 99,93 %. Ce score permettrait au président candidat d’emporter la victoire. Une victoire qui ne pourrait être le résultat que d’une « fraude massive », a tranché Jean Ping, qui a appelé, lundi, les Gabonais à défendre sa victoire « par tous les moyens ».