La côte kényane est à une heure d’avion de Nairobi : 530 kilomètres de plages, mais aussi de menaces terroristes, de minorités persécutées, d’une biodiversité exceptionnelle en danger. Une zone-clé, entre Inde, Somalie et Yémen, pour comprendre l’Afrique. Un reporter du Monde Afrique l’a parcourue, depuis Mombasa, plus grand port d’Afrique de l’Est, jusqu’à Lamu, berceau de la culture swahilie.

A Mombasa, il y a le ciel, le soleil, la mer. Et les sofas couleur caca d’oie du chef de la sécurité de la ville, Francis Wanjohi Mwangi.

Nommé en septembre dernier, le commandant du comté a pour lourde charge d’assurer la sécurité dans la deuxième ville du Kenya et plus grand port d’Afrique de l’Est. Il reçoit dans ses locaux surchauffés, face à l’océan indien. L’homme paraît d’ailleurs aussi fatigué que son bureau, aux cartes jaunies rongées par l’humidité. Il murmure. On l’entend à peine, sa voix régulièrement submergée par les cris des chèvres qui gambadent sur le parking au-dehors.

« La sécurité s’est grandement améliorée sur la côte », soutient le commandant dans un souffle. La région, désertée par les touristes suite aux menaces du groupe Al-Chabab retrouve en effet des couleurs, après une traversée du désert de près de trois ans.

Les progrès ont été couronnés les fameux « conseils aux voyageurs » décernés par les chancelleries étrangères. Après le Royaume-Uni (en juin 2015) et les États-Unis (en octobre), la France a fait passer la côte kényane de « orange » (« déconseillé sauf raison impérative ») à jaune pale (« vigilance renforcée »), pour la zone allant de la frontière tanzanienne, au sud, à la ville de Malindi, quelque 300 kilomètres plus au nord.

Le spectre des chabab

Il y a peu, la situation était pourtant encore critique, des attaques endeuillant régulièrement la côte. En juin 2014, un an après l’attaque du Westgate de Nairobi, 48 personnes sont assassinées par les chabab, alliés à Al- Qaeda dans la petite ville de Mpeketoni, à quelques kilomètres de Lamu, capitale déchue du tourisme cocotier et de la culture swahilie.

Des grenades explosent régulièrement à Mombasa, où l’on découvre des voitures piégées en plein centre-ville. « Les conditions de sécurité étaient incroyablement mauvaises, se souvient, Paul Golsmith, consultant et spécialiste des questions sécurité vivant à Mombasa. Personne ne pouvait sortir la nuit. » Au mois de mai de la même année, plusieurs centaines de touristes sont évacués en urgence (et parfois de force) suite à des menaces d’attentat.

Infographie Le Monde

Les dédales de ruelles étroites de Mombasa, entre demeures coloniales et portes indiennes sculptées, ainsi que les fonds marins de l’océan indien, deviennent inaccessibles aux touristes. « Le business s’est effondré de 90 % en deux ans », se lamente Shamsheer Mawji, fondateur de l’agence de voyage « Ketty », dont l’imposant immeuble couleur vert tropical trône sur la Moi avenue, les « champs Elysées de Mombasa », depuis plus de 20 ans. « Avant, il y avait 35 charters remplis de touristes qui atterrissaient chaque semaine à Mombasa. Maintenant, à peine trois… », poursuit ce Kényan d’origine indienne, barbu et jovial, qui reçoit dans un bureau garni de photos du maître des lieux serrant la main à différents chefs de l’Etat (dont l’ancien président iranien Mahmud Ahmadinejad). « Sur mes 200 employés, je n’ai pu en garder que 85. Rendez-vous compte, avant je ne les payais même pas : ils gagnaient assez avec les pourboires »

Du « soft power » au « hard power »

« A ce moment-là, en 2014, nous avons compris que nous pouvions tout perdre. », se remémore le « county commander » Mwangi. La méthode forte ne marche plus. « Nous avons décidé d’utiliser le soft power” », poursuit-il.

Les habitants de la côte sont consultés durant des réunions publiques (les « barazas »), réunissant jusqu’à 3 000 personnes. Une aide à la réinsertion est proposée aux « returnees », les chabab repentis revenus sur la côte. À Kwale, près de cinquante auraient bénéficié d’une aide du gouvernement. « On leur offre un tuk tuk et 1 500 shillings pour commencer une nouvelle vie », explique le commissaire Mwangi.

Le renseignement se professionnalise. « Les autorités kényanes ont des informateurs dans les mosquées. Ils connaissent beaucoup mieux les lieux de radicalisation », reconnaît un diplomate européen. « On a embauché du monde, notamment chez les pêcheurs qui surveillent les allers et venus », ajoute le commandant. En janvier, dernier une opération ciblée à Malindi se solde par la mort de quatre chabab présumés. Parmi eux, on trouve Suleiman Mohammed Awadh : un militant bien connu des chancelleries européennes et américaines, qui ont été rassurées sa neutralisation.

Un policier de Mombasa monte la garde un vendredi, jour de la grande prière. | AFP

Mais le « hard power » n’est pas été abandonné pour autant. Fin 2014, une descente de police musclée dans le quartier de Majengo, à Mombasa, où se recrutaient nombre de djihadistes entre les mosquées Sakina et Musa, s’est achevée par la mort d’un homme et plus de 200 arrestations. Début mars, le principal suspect de l’attentat du Bella Vista Club, une discothèque, attaquée à la grenade il y a quatre ans, a été condamné à mort par la cour de Mombasa. « On sait juger les terroristes. Ça va faire un bon exemple », se satisfait le commissaire Mwangi.

Le bon flic et la brute

Au cœur du redressement, on trouve deux hommes clés. D’un côté, Nelson Marwa, ancien chef de la sécurité de Mombasa, devenu ce début d’année coordinateur de la sécurité pour l’ensemble de la côte. Avec son impeccable béret noir flanqué des écussons kényans, l’homme est décrit par la presse comme « le plus dur des commissaires de comté » du pays. Outre ses 24 ans de service, le très craint « Marwa » est aussi une « grande gueule », qui n’hésite pas à critiquer ouvertement le manque de professionnalisme des élites locales, quitte à se mettre les politiciens les plus influents de la côte à dos.

L’autre visage du redressement s’appelle Najib Balala. Séduisant, toujours souriant, l’actuel ministre du tourisme, d’origine yéménite, est un peu le « bon flic » du couple formé avec Nelson Marwa. Ancien maire de Mombasa, passé par Harvard et l’université de Toronto, cet excellent communiquant n’hésite pas à poser, pour la presse, en famille ou en saut en parachute. L’avenant ministre a su rassurer européens et américains. Il était d’ailleurs du voyage du chef de l’Etat Uhuru Kenyatta, début avril, à Paris à la rencontre du secteur touristique français.

Le commandant l’admet : l’action de la police n’a pas tout fait. « Les chabab ont débuté en donnant de l’assistance aux plus pauvres. Ils se sont attiré les faveurs de la population, donnant de bons salaires à leurs combattants, explique-t-il. Mais aujourd’hui, à cause de l’attraction de l’Etat islamique, Al-Qaida, dans la corne de l’Afrique, manque d’argent. Il n’a plus les moyens de financer des combattants jusqu’au Kenya. »

Les élections kényanes sont dans un an, et le commandant craint de nouvelles violences. Alors que de sanglants attentats ont frappé les plages de Tunisie et de Côte d’Ivoire, la côte kényane se sait toujours menacée.

La région de Lamu, à la frontière somalienne, est d’ailleurs toujours en zone rouge sur les cartes du Quai d’Orsay, « fortement déconseillée », et les chabab nombreux dans la forêt de Boni, à une centaine de kilomètres de la ville. « Là-bas, les forces de sécurité font toujours le même sale travail », insiste Paul Goldsmith. « Il y a des rafles, des enlèvements, des exécutions extrajudiciaires, des fosses communes et des corps retrouvés régulièrement. La normalisation ne concerne pas cette zone. »