L’Afrique est une chance pour la France et pour l’Europe
L’Afrique est une chance pour la France et pour l’Europe
Par Jean-Louis Guigou
Le directeur de l’Ipemed plaide pour la création d’une « Verticale », un espace économique spécifique qui relierait l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe.
Des migrants en provenance d’Afrique subsaharienne, le 18 août 2016, sont secourus par la Croix-Rouge au large de la Libye. | AFP
Comment relancer l’Europe ? Comment redonner aux Français le goût de l’avenir ? Les souverainistes, les populistes et les nationalistes ont peur des migrations massives venant de la Méditerranée et de l’Afrique ; peur pour leur sécurité, peur du terrorisme, peur du chômage, peur du déclassement social, peur du déclin de leur pays, etc. Il est vrai que l’Union européenne, si elle reste unie, pèsera moins de 5 % de la population mondiale en 2050 alors qu’un quart de la population sera africaine.
Entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique, un projet d’alliance géopolitique s’impose, valorisant notre proximité et notre complémentarité et créant ainsi une grande région mondiale, un « quartier d’orange » Nord-Sud ou encore une « verticale », forte de 3 milliards d’hommes en 2040. C’est un projet historique, économique et civilisationnel qui promeut le développement d’une zone de prospérité partagée.
Peser dans la mondialisation
Pourquoi l’Europe doit-elle mettre le « cap au Sud » et se tourner, en priorité, vers la Méditerranée et l’Afrique ?
D’abord parce qu’il faut passer de la peur au projet. Christian Wulff, ex-président de la République fédérale d’Allemagne, a trouvé la formule adéquate : « Si les Européens ne vont pas maintenant vers l’Afrique, c’est l’Afrique qui, dans quelques années, viendra vers l’Europe. »
Ensuite parce qu’il faut accompagner la transition économique et politique des pays méditerranéens et africains. C’est le sens de « L’appel pour une mobilisation internationale en faveur de la Tunisie » , lancé à Paris jeudi 15 septembre, qui consacre l’engagement suivant : « Nous avons […] la responsabilité collective de faire en sorte que cette transition réussisse et de prouver que la coopération économique est la meilleure barrière contre les extrémismes. » Sans doute leur faudra-t-il une génération ? Mais c’est dans ces moments critiques que l’on reconnaît les vrais amis.
Enfin, parce qu’il faut peser dans la mondialisation : face aux grands ensembles existant – l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), le Mercosur en Amérique latine, l’Asean élargie en Asie, la triade en Afrique qui va du Caire à Johannesburg –, seule la grande région Afrique-Méditerranée-Europe constitue l’espace pertinent. Dans cette optique, non seulement l’Europe a besoin de l’Afrique, pour trouver notamment des relais de croissance, mais l’Afrique a besoin de l’Europe. Car, au travers de cette grande région « Afrique-Méditerranée-Europe », il s’agit d’affronter les grands défis du XXIe siècle tels le réchauffement climatique, la transition énergétique, la sécurité alimentaire, etc., selon les principes de solidarité et de complémentarité.
Réponse macro-régionale
Aucun pays, séparément, ne peut apporter de solution. La réponse est difficile au niveau mondial. En revanche, au niveau macro-régional, des régulations peuvent être plus vite décidées. Comment mettre le « cap au sud » ? A minima, il faut s’inspirer des outils mis en place par les Etats-Unis et la Chine vis-à-vis « de leur Sud » et proposer :
1. La création d’une banque intercontinentale, comme l’ont fait les Amériques (la BID) et les pays asiatiques (BAII).
2. La mise en place d’un traité de libre-échange complété par des mesures économiques de convergence institutionnelle (contrôle des banques, fiscalité…). Ces mesures devraient faciliter l’intégration régionale en profondeur, redistribuant l’appareil de production afin de ne pas se limiter à l’échange commercial – trop souvent inégal.
3. La promotion d’un outil paritaire de réflexion et de proposition stratégique. Alors même que les Etats-Unis et la Chine échangent avec « leur Sud » au sein d’institutions dédiées (la Cepalc pour les Amériques et l’ERIA en Asie), véritables creusets politiques et économiques qui assurent le brassage des élites, la promotion des idées nouvelles, et exercent une fonction d’influence politique, il n’existe aucune structure équivalente qui associe les acteurs africains, méditerranéens, et européens. C’est le sens du projet de fondation La Verticale, porté par l’Ipemed.
« Insurrection »
Le contexte est particulièrement favorable pour renforcer l’intégration régionale. Sur le plan économique, la régionalisation de l’économie et la coproduction sont en marche. Sur le plan politique, le coup de frein à une mondialisation non régulée est brutal : du Brexit à Donald Trump aux Etats-Unis en passant par la montée des partis populistes en Europe.
Or l’agenda des chefs d’Etat et de gouvernement met l’Afrique et la Méditerranée au premier plan. En novembre se tiendra le 4e sommet Afrique-Monde arabe à Malabo ; les 5 et 6 décembre se tiendra à Dakar le Forum paix et sécurité ; et en janvier 2017 aura lieu le sommet Afrique-France à Bamako, où Paris doit faire des propositions. En octobre 2017 aura également lieu le cinquième sommet Union européenne-Afrique au Mali. Après la « Trilatérale » qui unit naguère des peuples du Nord (Etats-Unis-Europe-Japon), sachons construire sur ces tendances et inventer la « Verticale » pour unir l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe. Seul un tel projet d’intégration Nord-Sud, fondé sur un véritable New Deal, peut réduire les peurs des Européens et séduire Méditerranéens et Africains.
Jean-Louis Guigou est directeur de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), un cercle de réflexion euro-méditerranéen.