TV : « Carole Matthieu » dans la Grande Broyeuse
TV : « Carole Matthieu » dans la Grande Broyeuse
Par Véronique Cauhapé
Isabelle Adjani interprète une médecin du travail confrontée à la détresse de salariés victimes d’un management brutal (sur Arte, à 20 h 55).
CAROLE MATTHIEU Bande Annonce (Isabelle Adjani - 2016)
Durée : 00:41
En 2009, elle était l’héroïne de La Journée de la jupe, un téléfilm réalisé par Jean-Paul Lilienfeld, diffusé sur Arte et exceptionnellement sorti en salles. Elle y interprétait une enseignante au bord de la dépression nerveuse qui, à la suite de menaces formulées par un petit caïd, prenait ses élèves en otage. Sept ans plus tard, Isabelle Adjani revient sur Arte dans un autre téléfilm, où elle tient le rôle d’un médecin du travail borderline qui exerce au sein d’une entreprise aux techniques managériales totalitaires, qui va se trouver aspirée par la souffrance qu’elle recueille quotidiennement sans pouvoir réellement agir.
Eponge à angoisse
Isabelle Adjani ne considère pas son métier d’actrice comme une profession mais comme une profession de foi. Elle l’a beaucoup répété et l’exprime encore à travers son engagement dans ce téléfilm librement inspiré du roman de Marin Ledun Les Visages écrasés (Seuil, « Roman noir », 2011). Un livre qu’elle a découvert, il y a quelques années, grâce à Jean-Paul Lilienfeld, alors désireux de l’adapter pour la télévision. Le projet n’a pu voir le jour, mais, plus tard, lorsqu’on a proposé à l’actrice une option sur les droits de l’ouvrage, elle a dit oui. C’est finalement par l’intermédiaire de Liza Benguigui, productrice en 2015 de Discount, lepremier film de Louis-Julien Petit, que le téléfilm a abouti avec ce réalisateur. Le trio était bien décidé à évoquer ce sujet grave, qu’il voulait rendre accessible à tous.
Carole Matthieu est avant tout une immersion. Une immersion dans une entreprise de télévente, Melidem, où, depuis une plate-forme assourdissante, des employés, écouteurs vissés aux oreilles, relancent sans relâche des clients sous la haute surveillance de managers munis d’une double écoute qui leur permet de diriger et de corriger les communications en direct. Soumis à une pression et à une tension constantes, à l’humiliation et au harcèlement, les salariés résistent par crainte d’être congédiés, se réfugiant parfois dans le bureau de Carole Matthieu, la seule qui les regarde et les écoute, attentive mais impuissante. Rien – un suicide s’est déjà produit dans l’entreprise – ni personne ne pouvant convaincre ni contraindre les dirigeants et les cadres d’assouplir leurs méthodes.
Isabelle Adjani interprète Carole Matthieu, un médecin du travail. | © ELEMIAH/M. CROTTO
Le téléfilm suit cela, le défilé d’hommes et de femmes dans le cabinet médical, les dérives au jour le jour du management qui oppresse et écrase, la peur de ne pas être bien noté, d’être viré. Il suit aussi Carole Matthieu, dépositaire des souffrances, éponge à misère et à angoisse qui finira par tomber elle-même dans le précipice au bord duquel tout le monde se tient.
A travers une bande-son saturée, Carole Matthieu nous plonge dans la cacophonie de cette ruche dans laquelle chacun est seul, isolé, pétrifié. Il filme, et appuie par le montage, les gestes, les mots, les entretiens répétés à l’infini. Et, sur ce point, il traduit ce que Marin Ledun décrivait dans son roman. En revanche, la fiction de Louis-Julien Petit perd le suspense et la force narrative du texte, malgré une mise en scène qui tente de faire sens. Hélas, qui trop embrasse mal étreint. Trop visible, trop appuyée, un rien compassée, la forme finit par l’emporter sur le fond, au point de nous tenir à distance du propos et des personnages.
Carole Matthieu, de Louis-Julien Petit. Avec Isabelle Adjani (Fr., 2016, 85 min).