Au Parlement de Strasbourg, en 2014. | PATRICK HERTZOG/AFP

Après des mois de relatif silence, l’Europe pourrait enfin commencer à tirer les conclusions, au moins symboliquement, des dérives autoritaires du président Erdogan. Les élus du Parlement européen ont débattu mardi 22 novembre d’une résolution appelant au « gel » des négociations d’adhésion entre l’Union européenne (UE) et la Turquie. Le vote a lieu jeudi 24 novembre, et à en croire de nombreuses sources parlementaires, la résolution, soutenue par les principaux groupes politiques de l’hémicycle strasbourgeois, a de grandes chances d’être adoptée.

Cette prise de position à venir n’a aucune valeur légale : pour que les négociations soient officiellement suspendues, c’est au Conseil européen de statuer. Mais le signal politique est important, à un moment où les relations entre l’Union et la Turquie se sont fortement dégradées, après le putsch avorté contre Recep Tayyip Erdogan le 15 juillet. Quelques mois auparavant, les négociations d’adhésion avaient été relancées, dans le cadre de l’accord migratoire signé avec Ankara, afin de limiter les arrivées de réfugiés sur les côtes grecques.

La mise en sommeil des négociations réclamée par les eurodéputés « risque de jeter de l’huile sur le feu », redoutent quelques sources parlementaires, tandis que d’autres estiment qu’il n’est plus possible de ne pas dénoncer officiellement les purges qui ont suivi le coup d’Etat, et qui depuis n’ont pas cessé, s’étendant aux journalistes et aux députés prokurdes, alors que le président turc semble vouloir tourner le dos à l’Europe et à ses valeurs démocratiques.

M. Erdogan a d’ailleurs évoqué il y a quelques jours la tenue d’un référendum sur le processus d’adhésion si aucune décision n’était prise par Bruxelles d’ici « la fin de l’année » sur la suite des négociations. Il a suggéré, dans le week-end des 19 et 20 novembre, que la Turquie devrait cesser de s’obstiner et se tourner plutôt vers l’Asie et l’Organisation de coopération de Shanghaï, regroupant la Chine, la Russie et les ex-Républiques soviétiques d’Asie centrale.

Pour Manfred Weber, président des conservateurs à Strasbourg, « chaque semaine, il se passe des choses terribles en Turquie, nous ne pouvons pas continuer les négociations, nous devons envoyer un signal clair, il faut qu’elles soient gelées. »

« Nous ne pouvons pas dire d’un côté que nos valeurs sont d’une importance cruciale et de l’autre simplement continuer de négocier avec Ankara », a souligné Guy Verhofstadt, le patron des Libéraux à Strasbourg. « L’Europe est maintenant entourée d’autocrates – Poutine, Erdogan, qui veulent détruire nos valeurs. Nous vivons un moment crucial dans l’histoire de l’Union, elle est en danger. Le Parlement européen doit se faire entendre, ne pas renoncer mais lutter fermement contre ces forces destructrices », a ajouté l’ex-premier ministre belge.

Le processus n’avance pratiquement plus depuis 2013

Plus prudent, le chef de file des sociaux-démocrates, Gianni Pittella, a exprimé son souci que l’Europe « ne ferme pas la porte » à la Turquie, « le gel des négociations doit être provisoire, beaucoup de Turcs continuent de se tourner vers l’Europe, il ne faut pas les trahir ».

Le gel des négociations officialiserait une situation de fait : le processus d’adhésion, démarré en 2005, n’avance pratiquement plus depuis 2013. Il a certes été relancé en décembre 2015, avec l’ouverture du chapitre 17 sur la politique économique et monétaire du pays, à la suite d’un premier accord entre Ankara et Bruxelles destiné à endiguer l’afflux de migrants transitant par la Turquie vers la Grèce. Mais depuis rien n’a bougé.

A Bruxelles, Berlin et Paris, plus personne ne croit à une Turquie européenne dans un avenir prévisible. Mais pour l’instant, les dirigeants refusent de le reconnaître ou de rompre en bonne et due forme les tractations. Certains redoutent que M. Erdogan ne réplique en n’appliquant plus l’accord sur les migrants signé en mars et ne rouvre les vannes des réfugiés vers la Grèce.

D’autres chefs d’Etat et de gouvernement craignent qu’en stoppant les négociations d’adhésion, l’Union n’accélère la dérive du pays vers un régime dictatorial. En donnant de la voix à leur place, le Parlement de Strasbourg va-t-il les pousser à sortir du bois ? Pas sûr : selon plusieurs diplomates bruxellois, le Conseil européen veut éviter à tout prix d’être rendu responsable de la rupture du processus d’adhésion.