La Thaïlande désigne son nouveau roi, Rama X
La Thaïlande désigne son nouveau roi, Rama X
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Le Parlement a « proposé », mardi, au prince héritier Maha Vajiralongkorn, actuellement à l’étranger, de monter sur le trône.
L’Assemblée nationale législative de Thaïlande convoquée en réunion extraordinaire pour proposer le nom du nouveau roi du pays, le 29 novembre à Bangkok. | THANAPORN PROMYAMYAI / AFP
La Thaïlande a un nouveau roi, qui portera le titre de Rama X. Depuis la mort de Bhumibol Adulyadej, le 13 octobre, à l’âge de 88 ans, au terme d’un règne de soixante-dix ans, le processus de transition monarchique semblait quelque peu patiner. Le nouveau souverain, le prince héritier Maha Vajiralongkorn, 64 ans, avait en effet demandé un « délai » avant d’accepter la charge, ce qui n’est pas conforme à la tradition.
La réunion de l’Assemblée nationale législative, mardi 29 novembre, convoquée en réunion extraordinaire dans la matinée à Bangkok, vient cependant de mettre fin à l’incertitude : elle a « proposé » le prince héritier comme Xe souverain de la dynastie des Chakri, fondée en 1782. Au terme d’un processus empreint d’une grande formalité, le gouvernement doit en effet soumettre le nom du nouveau roi à l’Assemblée, qui à son tour « invite » le successeur désigné à devenir roi.
Le prince héritier, que son père avait instauré comme son successeur dès 1972, n’était cependant pas présent à Bangkok mardi. Le futur souverain passe l’essentiel de son temps dans sa grande propriété près de Munich, en Allemagne, et doit revenir dans la capitale le 1er décembre. Selon les dernières informations, dès son retour, il devrait recevoir en audience le président de l’Assemblée, avant d’être officiellement proclamé roi dans la foulée.
Personnalité controversée, il n’est pas aisé pour le prince Vajiralongkorn de succéder à son père, le roi Bhumibol, monarque qui aura profondément marqué l’histoire de l’ancien royaume de Siam et suscitait une adoration sans pareil. Le souhait du prince de « respecter le deuil », formule employée pour justifier sa décision de ne pas immédiatement accéder au trône, avait alimenté les rumeurs de querelles de palais : la transition royale intervenant dans un contexte politique aussi troublé que compliqué, la succession s’annonçait possiblement délicate.
Culture du coup d’Etat permanent
Dirigée par une junte militaire depuis 2014, la Thaïlande s’enlise depuis une dizaine d’années dans une série de crises sociales et politiques, marquée par deux putschs et des dizaines de morts durant de sanglants épisodes de répression militaire contre des manifestants de l’opposition.
Le devenir de cette vieille monarchie est au centre de cette crise interminable qui affecte l’un des pays phares de l’Asie du Sud-Est, dont l’économie et la stabilité ont fini par souffrir de cette culture du coup d’Etat permanent et de la confiscation du pouvoir par une oligarchie composée de l’armée, des hiérarques du palais et d’une partie de la haute bourgeoisie d’affaires.
La monarchie thaïlandaise occupe un espace dont est totalement exclu le commun des mortels, faisant paradoxalement de ce royaume l’un des systèmes les plus opaques de la planète, comparable au culte du secret observé à Zhongnanhai, la Cité interdite du régime chinois, à Pékin. Le roi, la reine, le prince héritier et le régent sont en outre protégés par une sévère loi de lèse-majesté, permettant d’embastiller quiconque diffamerait ou insulterait ces derniers, et ce pour des peines pouvant aller jusqu’à quinze ans de prison.
Depuis qu’ils sont revenus au pouvoir par la force, pour la douzième fois depuis 1932, les militaires, en la personne du général et premier ministre Prayuth Chan-ocha, utilisent à tour de bras cet article 112 du code pénal, muselant ainsi toute opposition politique. L’armée thaïlandaise est une puissante institution qui, après avoir jadis marginalisé la royauté, est persuadée depuis plusieurs décennies que son destin est existentiellement lié à celui de la monarchie.
Aristocrate libertin
Mais tout n’est pas si simple. Et le nouveau roi Rama X constitue lui-même un facteur de division. Personnalité un peu fantasque au comportement de playboy, sa réputation n’est pas à la hauteur de celle de son père, qui avait joué un rôle majeur d’arbitre durant les crises qui ont aussi émaillé l’histoire du royaume au XXe siècle.
Le fait qu’il ait jusque-là été plus préoccupé par sa vie d’aristocrate libertin aurait provoqué des tensions au sommet, ce qui peut expliquer le surprenant délai dans son accession au trône. Dans un câble diplomatique émanant de l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok, que révéla en 2010 WikiLeaks, l’ambassadeur américain racontait comment, lors d’une rencontre avec l’ancien premier ministre Anand Panyarachun et le président du conseil privé du roi, Prem Tinsulanonda, ces deux figures avaient exprimé des réserves sur le prince héritier. Ils affichaient une préférence marquée pour la princesse Maha Chakri Sirindhorn, 61 ans, à laquelle la rumeur de Bangkok attribue les faveurs de nombre d’influentes personnalités du palais et des cercles militaires.
Selon le journaliste Andrew McGregor Marshall, spécialiste de la monarchie et persona non grata dans le royaume, le même Prem Tinsulanonda, 96 ans, devenu régent à la mort du roi Bhumibol, aurait récemment tenté, lors d’âpres discussions, « de faire accepter au prince héritier une limitation de ses pouvoirs ». Une négociation qui pourrait expliquer le délai dans la proclamation royale. Le fait est que personne n’est en mesure aujourd’hui d’imaginer ce que va être le règne de Rama X. Et surtout l’idée qu’il se fait lui-même de sa fonction.