« Super Mario Run », le jeu des grandes concessions
« Super Mario Run », le jeu des grandes concessions
Par William Audureau
La première aventure mobile du plombier, vendue 10 euros en version complète, témoigne d’un indéniable savoir-faire. Mais il peine à surprendre.
« Super Mario Run » reprend les fondamentaux de la saga Mario, mais avec un seul doigt pour jouer. | Nintendo
« Mario number one ! » A chaque fin de niveau, entre deux pirouettes, le plombier moustachu lâche régulièrement ce petit cri d’autocongratulation. « Mario numéro 1 », c’est ce que la mascotte de Nintendo est restée pendant plus de deux décennies, tant d’un point de vue commercial que critique, depuis la sortie de Super Mario Bros. en 1985. C’est ce qu’elle est redevenue depuis jeudi 15 décembre et la sortie de Super Mario Run, sa première aventure sur mobile, en s’emparant immédiatement de la première place du top des applications générant le plus d’argent sur iPhone et iPad. Avec un bémol : les appréciations critiques, elles, sont extrêmement mitigées.
Tout Mario avec un seul doigt
Comme son nom l’indique, Super Mario Run est un runner, un jeu de parcours dans lequel le héros court automatiquement. Cela n’empêche pas le plombier de se montrer étonnamment agile : en dépit d’un maniement limité à un seul doigt et quelques touchers d’écran épars, il peut non seulement sauter – l’interaction centrale – mais aussi enjamber ses ennemis à saute-mouton, les passer d’une roue acrobatique, rebondir contre les murs, se retourner quelques instants, glisser sur les fesses, tournoyer en l’air, se hisser ou encore boxer des bombes. Bref, pour pressé qu’il soit, le héros de Nintendo n’en perd pas de son répondant.
Introduction to Super Mario Run
Durée : 01:58
Super Mario Run n’est pas un Mario traditionnel, mais il en a l’emballage, la variété et le savoir-faire. Les 24 niveaux, courts et colorés, respectent à la lettre le cahier des charges d’un jeu Nintendo : variés, ludiques et originaux, ils reposent chacun sur une petite astuce différente. Citons par exemple un ballet aérien de boulets de canon à traverser, un paysage de collines dodues à dévaler comme des toboggans, ou encore une maison hantée remplie de portes en trompe-l’œil. Chacune se joue comme une partition fantastique, un parchemin numérique qui se déploierait à coups de « bip-bip » entraînants et d’acrobaties joyeuses : la magie fait effet.
Alors pourquoi tant d’appréciations négatives ? De très nombreux commentaires reprochent au jeu son prix, 10 euros environ, et son classement trompeur dans la catégorie des applications gratuites (seuls les trois premiers niveaux le sont). Coupons court au débat : il s’agit d’une fausse question. Entre un Sonic à 3 euros sur mobile et un Super Mario classique à 40, voire 50 euros sur console de salon, l’industrie connaît tout un éventail de prix très large. Nintendo a fait le choix de maintenir un certain niveau de prix afin de ne pas dévaloriser ses propres univers, un peu comme Disney avec ses classiques en Blu-Ray. A chacun son appréciation de cette décision.
Une inventivité en berne
Le problème est ailleurs. A bien des égards, Super Mario Run a l’apparence d’un Mario sans en avoir la philosophie. Premier aspect, le plombier a souvent été sinon le héros des premières fois, du moins le héros des aventures les plus influentes. Super Mario Run, lui, ne codifie rien : il emprunte une recette déjà existante, qui a connu son heure de gloire en 2012 avec l’excellent Rayman Jungle Run. En 2016, voir Nintendo débarquer sur mobile constitue un événement ; reprendre les recettes de la concurrence, une déception.
Le jeu lui-même peine à se démarquer des opus classiques de la saga. Le titre se contente de citer et mixer à tour de bras les éléments les plus passe-partout de Super Mario Bros., Super Mario Bros. 3 et New Super Mario Bros. Wii, dans une aventure qui tient plus du clin d’œil permanent. La mythologie Mario y reste désespérément inchangée, l’imaginaire stéréotypé. Même les fonctionnalités nouvelles ne parviennent pas à enrichir le monde et lui donner ce zest d’inattendu. Les chemins qui se séparent ? Juste indiqués par de banales flèches. Les blocs qui interrompent la course de Mario ? Matérialisés par de bêtes symboles de télécommande « pause ». Pour une saga qui a inventé les tortues perchées sur des nuages et les tuyaux de téléportation vert avec des plantes piranha dedans, c’est faible.
Il faut attendre le cinquième et avant-dernier monde pour voir apparaître un obstacle nouveau, en l’occurrence un cercle de feu, et le niveau d’à côté pour surprendre les développeurs à enfin jouer avec les cadres : sortir de l’écran du jeu permet de revenir par l’autre côté, petite astuce ouvrant de nombreuses possibilités dans un titre aux déplacements automatisés. Pour le reste : rien que de très connu. En une heure trente de partie, le temps nécessaire pour parcourir les 24 tableaux de l’application, les surprises, les moments « wow » sont rares. C’est, pourtant, le principe même d’un Mario que de surprendre, tout le temps, sur la forme et sur le fond.
Alice au pays de la comptabilité
Pire, le sel de la saga, son humour spatial loufoque et enchanteur, fait de passages secrets, de blocs invisibles et de raccourcis surréalistes, a en grande partie disparu. A la place, des pièces à collecter, rose, violettes et noires, de plus en plus dures à trouver et attraper, symbole d’une série qui a sacrifié la poésie ubuesque sur l’autel de la rationalisation de l’espace de jeu.
Les deux autres modes disponibles, une suite de défis sous la forme d’une course aux pièces d’or et à la popularité, et un village à construire à partir d’éléments à acheter en monnaie virtuelle, témoignent de la conversion de Mario à la maladie du jeu mobile. Tout quantifier, tout cumuler, tout convertir : rien ne se découvre, tout se troque. Paradoxe d’un jeu vendu 10 euros, mais qui n’épargne même pas au joueur les travers habituellement réservés aux titres basés sur le modèle du « free 2 play », où les développeurs ont perpétuellement besoin de monétiser les actions du joueur.
Finalement, Super Mario Run n’innove véritablement que sur une chose : son modèle économique, celui du free to start (« gratuit au début »), suffisamment atypique sur mobile pour qu’Apple n’ait pas su où le classer, entre les applications payantes et gratuites. C’est une drôle d’innovation, symptomatique de l’éternel désir de Nintendo de prendre le contre-pied du reste de l’industrie. Une audace qui n’a rien non plus d’insolente, tant il y a dans Super Mario Run une qualité d’exécution et un savoir-faire difficilement contestables. Mais s’il s’agissait de rappeler la puissante inventivité de la franchise Mario, alors le coup est passé à côté.
En bref
On a aimé
- un maniement simple et efficace ;
- les niveaux variés et entraînants ;
- un jeu tout en rythme et en doigté ;
- la qualité d’un jeu Nintendo sur smartphone.
On n’a pas aimé
- un jeu qui refuse d’innover ;
- on n’aurait pas dit non à plus de niveaux ;
- la dextérité qui prime sur l’exploration.
C’est plutôt pour vous si
- vous aimez Rayman Jungle Run ;
- vous voulez retrouver Mario (mais pas une console Nintendo) ;
- vous avez connu l’époque où les jeux étaient payants.
Ce n’est pas pour vous si
- 10 euros, c’est votre budget gemmes de l’année dans Clash of Clans ;
- vous cherchez un jeu original ou innovant ;
- vous voulez jouer Luigi.
La note de frais de Pixels
9,99 €/10