Au Maroc, l’épreuve de force se poursuit pour le premier ministre Abdelilah Benkirane
Au Maroc, l’épreuve de force se poursuit pour le premier ministre Abdelilah Benkirane
Par Charlotte Bozonnet
Après trois mois de tractations, le chef du gouvernement islamiste a suspendu ses négociations pour la formation d’une coalition.
Le premier ministre marocain, Abdelilah Benkirane, à Salé, le 22 octobre 2016. | FADEL SENNA/AFP
Nouveau rebondissement dans les interminables négociations pour la formation d’un gouvernement au Maroc : dimanche 8 janvier, alors qu’une sortie de l’impasse semblait en vue après trois mois de blocage, le premier ministre Abdelilah Benkirane, chef du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), reconduit dans ses fonctions en octobre après un premier mandat (2012-2016), a annoncé qu’il mettait fin à ses discussions avec son principal interlocuteur, Aziz Akhannouch, président du Rassemblement national des indépendants (RNI, libéral).
Dans un communiqué au ton sec, le chef du gouvernement reproche à M. Akhannouch de ne pas avoir répondu à ses dernières propositions sous 48 heures comme cela était prévu, et tranche : « J’en conclus qu’il [M. Akhannouch] n’est pas en mesure de me répondre et qu’il n’y a pas lieu de poursuivre les négociations avec lui. »
Depuis la victoire de son parti, le PJD, aux élections législatives du 7 octobre 2016, suivie de sa nomination par le roi Mohammed VI au poste de chef du gouvernement, M. Benkirane a été dans l’impossibilité de constituer une coalition lui permettant d’avoir une majorité au Parlement – seul, le PJD ne dispose que de 125 sièges sur 395 députés. Le dirigeant islamiste souhaitait travailler avec le Parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche) et l’Istiqlal (Parti de l’indépendance, conservateur), auxquels il lui fallait ajouter un quatrième partenaire pour atteindre la barre des 198 sièges.
Dans ce contexte, le RNI, dirigé par l’homme d’affaires Aziz Akhannouch, a émergé comme un parti-clé. Très proche du roi, ce ministre sortant (de l’agriculture), jusqu’alors sans étiquette, a été élu à la surprise générale à la tête du RNI en octobre. Sa soudaine émergence sur la scène politique a été analysée par de nombreux observateurs comme une volonté du Makhzen (le pouvoir et l’entourage royal) de faire contrepoids au PJD au sein d’un futur gouvernement. Pendant plusieurs mois, les tractations se sont poursuivies : M. Akhannouch aurait demandé un certain nombre de ministères clés, mais aussi à ce que la formation islamiste renonce à l’un de ses alliés, l’Istiqlal, dirigé par Hamid Chabat.
« Ultime concession »
Après des semaines de blocage, l’affaire semblait en passe d’être réglée, l’Istiqlal s’étant disqualifié après la bourde diplomatique de M. Chabat, qui avait déclaré que la Mauritanie était une « terre marocaine ». Après un tel impair, M. Benkirane a accepté de ne plus compter l’Istiqlal dans son gouvernement. Début janvier, il aurait proposé à M. Akhannouch de reconduire la même coalition que dans son précédent gouvernement, à savoir le PJD, le PPS, le RNI et le Mouvement populaire (MP, proche du RNI). L’annonce d’un nouvel exécutif semblait imminente, jusqu’au communiqué lapidaire de M. Benkirane.
La colère du chef du gouvernement a été provoquée par un texte conjoint du RNI et du MP. Au lieu de répondre à la proposition du chef du gouvernement, les deux partis l’ont appelé à poursuivre et à élargir les discussions à deux autres partis – l’Union socialiste des forces populaires et l’Union constitutionnelle, également cosignataires – auxquels le premier ministre n’avait pas fait appel. « Benkirane venait de faire l’ultime concession en acceptant de ne pas inclure l’Istiqlal. Pour lui, c’était la goutte d’eau, commente un journaliste marocain. Il estime que ce n’est pas à Akhannouch de constituer un gouvernement. Il a donc dit stop. »
Ces péripéties, qui ont peu à voir avec des différences de programme, s’inscrivent dans la question plus large du rapport de force entre le parti islamiste et le Palais royal dans un pays où celui-ci garde la haute main sur la vie politique. Il s’agit notamment pour le Makhzen de conserver un espace de souveraineté au sein du gouvernement en occupant des postes-clés.
Face à ces difficultés, Abdelilah Benkirane peut-il aller jusqu’à renoncer ? Une telle démarche irait à l’encontre des résultats des élections du 7 octobre et abîmerait assurément l’image du pays. Un conseil des ministres, qui devait avoir lieu lundi, a été reporté et pourrait se tenir ce mardi 10 janvier. Présidé par le roi Mohammed VI, il pourrait apporter les clés d’une sortie de crise.