Bolloré choisit un navet américain pour ouvrir son cinéma à Douala et reçoit un accueil mitigé
Bolloré choisit un navet américain pour ouvrir son cinéma à Douala et reçoit un accueil mitigé
Par Séverine Kodjo-Grandvaux (contributrice Le Monde Afrique, Douala)
Malgré un échec avec sa première salle à Yaoundé, le groupe récidive dans la capitale économique. Et choisit une programmation qui laisse perplexe.
Vincent Bolloré avait promis, en juin 2016, lors de l’inauguration à Yaoundé de la salle de cinéma et de spectacle Canal Olympia, que les Camerounais auraient en « avant-première ou en première des films qui sortent au même moment à Los Angeles ou à Tokyo ». C’est loupé ! Non seulement le bâtiment, situé sur le campus universitaire de Yaoundé, n’a jamais ouvert ses portes au public après la cérémonie officielle mais sept mois plus tard, mardi 17 janvier, lors de l’inauguration à Douala de la seconde salle de son groupe au Cameroun, les cinéphiles ont dû se contenter d’un long-métrage américain, The Giver, sorti aux Etats-Unis en 2014.
Cette adaptation du roman éponyme de Lois Lowry, avec notamment Meryl Streep, n’avait pas fait l’unanimité chez les critiques, certains n’hésitant pas à parler de « navet ». Il s’agit d’un film de science-fiction qui imagine un futur lointain où les humains ont choisi de gommer leurs « différences » et de se reproduire à « l’identique » – entendez entre Blancs ! – sans jamais évoquer la dimension raciste et eugéniste d’un tel projet. La programmation est sans doute maladroite dans une grande ville africaine, et a laissé sceptiques une partie des spectateurs pourtant triés sur le volet. Certains ont même quitté la salle pendant la projection.
« Shaun le mouton »
Loin d’un lancement populaire, cette inauguration très officielle, en présence de l’ambassadeur de France, Gilles Thibault, et du gouverneur de la région du Littoral, Samuel Ivaha Diboua – le protocole a fait lever l’ensemble du public pour saluer son entrée, tardive, dans la salle – marque l’implantation au Cameroun du groupe Bolloré, déjà présent dans les secteurs portuaire et ferroviaire ainsi que dans les plantations de palmiers à huile, via sa participation dans le groupe belge Socfin.
D’ailleurs, à Douala, Canal Olympia jouxte la gare centrale, à Bessengué, d’où partent les trains pour Yaoundé. La gare est gérée par la société Camrail, dont le groupe Bolloré est actionnaire majoritaire (à 77,4 %). A la question de savoir si le bâtiment du cinéma Canal Olympia se trouve sur les terrains de la gare, aucune réponse n’a pu être obtenue lors de la soirée d’inauguration à Douala. Le président du conseil d’administration des filiales Bolloré au Cameroun et au Tchad, Hamadou Sali, a en revanche rendu hommage aux 79 victimes de la catastrophe ferroviaire d’Eséka, le 21 octobre 2016.
La salle à Yaoundé de Canal Olympia semble justement avoir souffert d’un problème foncier, qui explique sans doute son échec (aucun film n’y a été projeté depuis l’ouverture en juin 2016). Elle est en effet située à l’intérieur même du campus universitaire. Le recteur de l’université avait émis des réserves quant à l’installation d’un projet commercial sur un lieu normalement réservé aux étudiants, soulevant par ailleurs des questions de sécurité.
« On n’avait pas anticipé la difficulté d’être sur un lieu universitaire », admet la présidente de Canal Olympia, Corinne Bach, qui confie que le groupe Bolloré envisage d’ouvrir une autre salle dans la capitale politique et cherche un terrain.
Canal Olympia Bessengué a pour sa part ouvert ses portes au public mercredi, et peut accueillir près de 300 personnes trois fois par jour, du mardi au dimanche. Outre The Giver, la première programmation mensuelle propose le long-métrage d’animation Shaun le mouton, sorti en 2015, et un film très franco-français, Primaire, sorti à Paris le 4 janvier, qui ne concerne ni la primaire de droite, ni celle de la gauche, mais bien la crise des vocations dans l’enseignement. Certains spectateurs camerounais se demandaient « qui ça peut bien intéresser ici ».
« Valoriser le cinéma africain »
Comment expliquer un tel choix ? La directrice de la programmation et de la communication de Canal Olympia, Barbara Weill, le reconnaît : « Pour l’instant, c’est plus simple de commencer avec des films produits ou distribués par Studio Canal pour des questions de droits. Mais nous avons pour objectif de valoriser le cinéma africain et nous sommes en discussion avec le distributeur nigérian Iroko pour proposer des films de Nollywood. » Ce que fait déjà sur le continent Canal+, en proposant à ses abonnés la chaîne Nollywood TV.
Le film nigérian à l’honneur dans un festival à Paris
Durée : 02:18
Outre le cinéma, Canal Olympia Bessengué peut accueillir en extérieur 5 000 personnes pour des concerts, des spectacles ou des événements privés non culturels, espérant ainsi rentabiliser l’espace dont la programmation se décide à Paris, comme pour l’ensemble du réseau.
Toutefois, en installant une partie de ses équipes à Abidjan, le label Vivendi Island Africa entend découvrir de nouveaux talents (musique, stand-up…), pour ensuite les faire tourner à l’intérieur du réseau Canal Olympia, dont les prochains sites s’ouvriront à Niamey, au Niger, le 1er février et à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 25 février, jour de l’ouverture du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco).
Une synchronisation parfaite pour rappeler les volontés de la multinationale : « On est des entrepreneurs, explique Corinne Bach. On sait ce qu’on veut pour le long terme, dans dix ans : être le catalyseur de l’industrie cinématographique et musicale de l’Afrique. »